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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/300

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épouvante le camp des rebelles couronner les collines qui dominaient leur cité.

Kazan, l’ancienne capitale des khans tatars ; et la reine du Volga, est une grande ville de cent mille habitans, de physionomie bizarre, indécise entre l’Europe et l’Asie, entre le Christ et Mahomet. Églises et mosquées s’y mêlent fraternellement, et le flot jaune du grand fleuve emporte confondues dans sa fuite les grêles images des clochers et des minarets. Dans les caravansérails, les écoles et les bazars des quartiers musulmans, le trafiquant de Samarkand se retrouve chez lui, tout autant que le pieux marchand de Moscou dans son gostinny dvor, à l’ombre de sa basilique. On peut voir à la même heure, et côte à côte, l’un se prosterner pour la prière sur son tapis étendu vers l’Orient, l’autre se signer devant les chapelles ardentes qui projettent sur la rue les feux de leurs cierges et de leurs orfèvreries. Tous deux y sont appelés par le grand commerce asiatique dont Kazan est l’entrepôt ; avant-garde du marché de Nijni, au confluent de la Kama et du Volga, elle centralisait par ses deux fleuves, avant les chemins de fer, toutes les richesses de la Sibérie et de la Caspienne. Sous la protection d’une citadelle portée par une petite acropole, ces richesses s’entassaient dans les bazars, ornaient les maisons des gros marchands et les trésors magnifiques des sanctuaires orthodoxes. La proie était grasse, on le voit, et tentante pour la bande des loups affamés qui vint hurler une nuit aux portes de la ville.

Les dispositions prises par Pougatchef ne manquaient pas d’habileté. Les rebelles approchèrent des faubourgs, suivant leur tactique habituelle, en poussant devant eux des meules de foin et de paille enflammées, à l’abri desquelles avançait leur artillerie. Le premier fossé était défendu par la milice locale avec une pièce de canon : Pougatchef lança sur ce point ses hordes désarmées, les serfs des fabriques qui suivaient sa fortune depuis l’Oural ; les cavaliers kosaks rabattaient cette foule à coups de fouet et la poussaient dans le fossé, assommant qui reculait ; sans autres armes que des bâtons et ses poings, elle refoula les défenseurs, prit leur canon, le pointa sur la porte, et commença d’envoyer des volées de mitraille le long des rues populeuses. À l’aile gauche, les Bachkirs attaquaient le faubourg des drapiers. Les artisans de cette corporation, ralliés et conduits par l’archevêque Benjamin, s’armèrent de ce qu’ils trouvèrent et se mirent en devoir de résister. Les Bachkirs les couvraient d’une nuée de flèches ; du haut des collines Pougatchef écrasait de boulets les combattans, amis ou ennemis. Les drapiers avaient amené un canon ; il éclata au premier coup, tuant le canonnier. Déjà le faubourg flambait : les artisans cédèrent