Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couleurs de l’éloquence, lorsqu’il s’agit de les présenter aux nations ; et surtout cela est d’un grand danger en France, où l’on rend un culte si dévoué aux formes. Combien de fois n’est-il pas arrivé que les Parisiens, dans le secret de la comédie que le gouvernement jouait devant eux, se sont prêtés de bonne grâce à s’en montrer dupes, seulement parce que les acteurs rendaient justice à la délicatesse de leur goût, qui exigeait que chacun jouât le mieux possible le rôle dont il était chargé !

Dans le courant de ce mois de janvier, le Moniteur inséra une note des journaux anglais qui parlaient de quelques différends entre la Bavière et l’Autriche, et des probabilités qu’on avait d’une guerre continentale. De pareilles paroles, sans réflexions, étaient ainsi jetées de temps en temps comme pour nous avertir de ce qui pouvait arriver, ainsi que dans une décoration d’opéra, ou plutôt comme ces nuées qui s’amoncellent au-dessous de la cime des montagnes et qui s’ouvrent un moment pour laisser apercevoir ce qui se passe derrière. De même, les plus ou moins importantes discussions qui s’élevaient en Europe nous étaient montrées instantanément pour que nous ne fussions pas très surpris lorsqu’elles amenaient quelque rupture ; mais ensuite les nuages se refermaient, et nous demeurions dans l’obscurité jusqu’à ce que l’orage éclatât.

Je touche à une époque importante et pénible à retracer ; je vais bientôt parler de la conspiration de Georges et du crime qu’elle a fait commettre. Je ne rapporterai sur le général Moreau que ce que j’ai entendu dire, et me garderai bien de rien affirmer. Il me semble qu’il est nécessaire de faire précéder ce récit d’un court exposé de l’état dans lequel on se trouvait alors.

Un certain monde, qui tenait d’assez près aux affaires, commençait à parler du besoin que la France avait d’une hérédité dans le pouvoir qui la gouvernait. Quelques courtisans politiques, des révolutionnaires de bonne foi, des gens qui voyaient tout le repos de la France dans la dépendance d’une seule vie, s’entendaient sur l’instabilité du consulat. Peu à peu toutes les idées s’étaient rapprochées de la royauté, et cette marche aurait eu des avantages, si l’on eût pu s’entendre pour obtenir une royauté modérée par les lois. Les révolutions ont ce grave inconvénient de partager l’opinion publique en des nuances infinies qui sont toutes modifiées par le froissement que chacun a éprouvé dans les circonstances particulières. C’est toujours là ce qui favorise les entreprises que tente le despotisme, qui arrive après elles. Pour contenir le pouvoir de Bonaparte, il eût fallu oser prononcer le mot de liberté, mais, comme peu d’années avant il n’avait été tracé d’un bout de la France à l’autre que pour servir d’égide à l’esclavage le plus sanglant,