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construire les bateaux plats furent très considérables. Les injures entre les feuilles anglaises et le Moniteur continuaient toujours, de même que les défis. « On dit que les Français ont fait un désert du Hanovre et qu’ils se préparent à le quitter. » Voilà ce qu’on voyait dans le Times ; et aussitôt une note du Moniteur répondait : « Oui, quand vous quitterez Malte. »

On nous livrait les mandemens des évêques qui exhortaient la nation à s’armer pour une juste guerre. « Choisissez des gens de cœur, disait l’évêque d’Arras, et allez combattre Amalec. Se soumettre aux ordres publics, a dit Bossuet, c’est se soumettre à l’ordre de Dieu qui établit les empires. »

Cette citation de Bossuet me rappelle une anecdote que contait fort bien le vieil évêque d’Evreux, M. Bourlier. C’était à l’époque du concile qu’on assembla à Paris pour essayer de déterminer les évêques à résister aux décisions du pape : « Quelquefois, me disait cet évêque, l’empereur nous faisait tous appeler, et commençait avec nous des conversations très théologiques ; il s’adressait aux plus récalcitrans d’entre nous : Messieurs les évêques, ma religion, à moi, est celle de Bossuet ; il est mon père de l’Église, il a défendu nos libertés ; je veux conserver son ouvrage, et soutenir votre propre dignité. Entendez-vous, messieurs ?

« Et en parlant ainsi, pâle de colère, il portait la main sur la garde de son épée ; il me faisait frémir de l’ardeur avec laquelle je le voyais prêt à prendre nos propres défenses, et ce singulier amalgame du nom de Bossuet, du mot de liberté, et de ce geste menaçant, m’eût donné envie de sourire, si je n’avais été au fond très affecté des déchiremens de l’église que je prévoyais. »

Je reviens à l’hiver de 1804. Cet hiver se passa, comme le précédent, en fêtes et en bals pour la cour et la ville ; et, en même temps, en continuation de l’organisation de lois nouvelles qui furent présentées à la nouvelle session du corps législatif. Cette année, Mme Baciocchi, qui avait un penchant très décidé pour M. de Fontanes, parla si souvent de lui à son frère, que ses discours, joints à l’opinion qu’il avait de cet académicien, le déterminèrent à le nommer président du corps législatif. Ce choix parut singulier à quelques personnes ; mais au fait, pour ce qu’à l’avenir Bonaparte voulait faire du corps législatif, il n’avait guère besoin de lui donner un autre président qu’un homme de lettres. Celui-là a montré toujours un art noble et distingué, quand il a fallu haranguer l’empereur dans les circonstances les plus délicates. Son caractère a peu de force, mais son talent lui en donne beaucoup, quand il est obligé de parler en public ; son bon goût lui inspire alors une véritable élévation. Peut-être était-ce un inconvénient, car rien n’est si dangereux pour les souverains que de voir le talent revêtir les abus de leur autorité des