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qui encombraient le chef-lieu du XIe arrondissement, il est signé d’un nom obscur et même inconnu : « Établise votre ligne de démarquation entre vous et les Versaillais — brûlé, incendié tout ce qui est contre vous, — pas de trêve ni de découragement. — Le XIe arrondissement se lancera votre secourt sitôt que vous serez menacé — courage et si vous agisez, la république est sauvez avant quarante huit heures. Pour le comité : David[1]. »

Si, lors des batailles sous Paris, les armées allemandes avaient rencontré une telle énergie dans la garde nationale, la France n’aurait peut-être pas été amputée de deux provinces ; mais, on le sait, et il ne faut pas se lasser de le répéter, un bon nombre de bataillons se réservaient contre « les Prussiens de l’intérieur[2], » c’est-à-dire contre tout ce qui n’était pas jacobin, hébertiste, maratiste, contre tout ce qui n’admirait pas Raoul Rigault ou ne croyait pas à la religion du dieu Blanqui.

Que dans cet énorme cataclysme où Paris a failli périr, il y ait eu des faits de sauvagerie spontanée, des actes d’initiative individuelle, il n’en faut douter. Lorsque Charles-Philippe-Denis Quélin, apprêteur de neuf et fédéré au 92e bataillon, s’écrie : « F… le feu aux deux coins de la rue Thévenot ; pas de pitié, nous n’avons rien à perdre I » il obéit à ses mauvais instincts personnels et n’a reçu aucun ordre précis[3]. Mais à qui donc remonte la responsabilité du forfait, sinon à ceux qui l’on préparé, qui ont amassé les matières inflammables, et qui, maîtres de la ville, chefs du gouvernement, directeurs de l’insurrection, ont donné l’exemple en brûlant l’Hôtel de Ville ? Les délégués municipaux, stylés d’avance, ont fait leur œuvre ; ils ont reçu un mot d’ordre qu’ils ont fidèlement transmis aux commandans des barricades, ceux-ci l’ont répété à leurs soldats, qui étaient bien certains de ne pas faire preuve d’indiscipline en répandant partout le pétrole. Ceci n’est point douteux ; lorsque l’on s’est adressé au conseil même de la commune, il a répondu : « Brûlez. »

Le 23 mai, dans la soirée, le corps du général de Cissey venait de forcer l’entrée de la rue de Grenelle-Saint-Germain. Le marquis de Quinsonnas, qui, après avoir fait valeureusement la guerre, avait, malgré ses cinquante-huit ans sonnés, repris du service afin de combattre la commune, était alors attaché, en qualité de

  1. David (Adrien-François), contre-maître charpentier, conseiller municipal au XIe arrondissement.
  2. « Ils ont fait tout ce qu’ils ont pu pour empêcher les ouvriers de marcher, leur disant de se réserver pour les Prussiens de Paris. Quand vous irez vous faire tuer, disaient-ils, à quoi ça avancera-t-il ? Il faut vous réserver pour les Prussiens de l’intérieur. » Enq. sur le 18 mars ; dép. des témoins, éd. de 1872, p. 542.
  3. Procès Quélin ; déb. contr., dixième conseil de guerre, 11 mai 1872.