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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/382

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l’analogie entre les corps animés et les nations[1]. On peut discuter sur beaucoup de rapprochemens particuliers et « d’illustrations » à l’anglaise, où l’auteur se montre peut-être trop ingénieux ; mais, à prendre les choses dans leur ensemble, nous pouvons accorder que jusqu’à présent la similitude est parfaite entre l’organisation d’un être vivant et l’organisation d’une société.

Maintenant se pose une question nouvelle et plus importante, que M. Spencer n’a pas examinée : — l’organisation, quoique nécessaire à la vie, est-elle la vie même ? En d’autres termes, de ce qu’une société est organisée, faut-il conclure qu’elle est vivante ? On pourrait retrouver dans une machine à vapeur, dans une montre, etc., beaucoup d’analogies avec les êtres vivans, une division du travail entre des parties diverses avec une coopération à un but final ; aussi les enfans et les sauvages ne peuvent se persuader qu’une montre ne vit pas. Qu’est-ce donc qui distingue la machine artificielle et sans vie de la machine naturelle et vivante ? — Leibniz nous fournit une première réponse : les parties d’un automate, comme le bois ou le fer, ne sont point elles-mêmes organisées, tandis que celles des êtres vivans sont elles-mêmes organisées et vivantes ; les machines naturelles « sont machines jusque dans leurs moindres parties, » et enveloppent des organes dans des organes à l’infini. C’est cette sorte d’abîme que Pascal avait déjà décrit avec une admiration mêlée de terreur : « Des gouttes dans ce sang, des humeurs dans ces gouttes, » et ainsi sans fin, si bien que chaque monde vivant embrasse une infinité d’autres mondes vivans à des degrés divers. Tel est en effet un des caractères les plus frappans de la vie. Or, si nous considérons d’après ce principe les sociétés et les nations, est-ce aux machines artificielles ou aux organismes naturels qu’il faut les assimiler ? D’abord, une société n’est-elle pas composée de parties vivantes, d’individus, d’hommes ou d’animaux ? Peut-on dire qu’elle soit formée par l’ajustement de parties inertes ? Non, assurément. Les individus humains qui composent une société, à leur tour, ne sont-ils pas composés d’autres individus doués de vie et dont l’ensemble forme leurs organes, leur corps ? La science contemporaine, comme Pascal, nous montre dans chaque individu organisé un monde d’autres êtres organisés, et dans ce qui paraissait une sorte d’atome vital elle découvre « un abîme nouveau. » Carpenter, Hœckel, Virchow, MM. Claude Bernard, Robin, Bert, ont prouvé que tout animal est composé d’un grand nombre d’autres animaux plus élémentaires. « L’éponge, par exemple, dit Huxley, est une sorte de cité sous-marine dont les membres sont rangés le long des rues,

  1. Outre les Principes de sociologie, voir l’essai sur l’Administration ramenée à son vrai rôle, dans les Essais de politique, excellemment traduits par M. A. Burdeau.