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au goût chaleureux et sympathique de Dubois, mais ce qui manquait n’était pas moins visible à l’œil clairvoyant du critique : « Rapetisser cette histoire mystérieuse aux étroites dimensions de notre système classique, c’est détruire toute vraisemblance et ne conserver que l’atrocité d’un crime commis brusquement et sans motif. » On ne doit pas méconnaître le service qu’a rendu Ducis en introduisant Shakspeare dans le courant populaire ; mais en nous donnant le goût du grand poète, il contribuait plus que personne à la dissolution du vieux système classique : car on voyait clairement par son exemple combien les cadres étroits de ce système étaient peu propres à contenir les larges et profondes peintures de la vie dont la scène anglaise est le théâtre.

Dans un autre travail, Dubois s’élevait avec non moins de raison contre le système de mutilation auquel on soumettait alors en France, sous prétexte de nouveauté, les chefs-d’œuvre étrangers : « Que dirions-nous, écrit-il, si un Allemand, prenant notre Athalie, s’avisait, en conservant trois ou quatre grandes scènes, ou même toute l’œuvre sublime de Racine, d’ajouter des développemens, des changemens de scène, des figures de personnages secondaires, et des épisodes populaires à la façon de son pays ? Nous crierions à la barbarie… On n’arrive pas plus à l’originalité en mutilant Shakspeare qu’en traduisant Racine. » L’école nouvelle en effet s’essayait alors à de plus grandes hardiesses par des imitations arrangées des chefs-d’œuvre tragiques de l’Angleterre et de l’Allemagne : « Mais, disait Dubois, ce ne sont pas les sujets qu’ils ont traités, c’est la liberté de leurs formes que nous voudrions voir sur notre scène. Les trois unités ne nous déplaisent pas quand le sujet le comporte. Ce que nous désirons, c’est qu’on n’y réduise pas de force des sujets vastes et compliqués qui demandent un grand développement. »

Dubois n’était pas moins sensible aux défauts du théâtre romantique d’alors qu’à ceux du théâtre classique. Il dénonçait de part et d’autre, sous des formes différentes, l’absence de naturel et de vérité. Au moment même du plus vif succès d’Henri III et sa cour, l’une des victoires romantiques d’alors, il jugeait cette pièce avec une sévérité précise que le temps a confirmée : « Je me croirais, disait-il, presque aussi coupable d’admirer Henri III que Pertinax (tragédie d’Arnault). Il n’y a dans la première de ces pièces ni plus d’intelligence historique, ni plus de vérité morale et poétique, ni plus d’invention que dans la seconde. Les scènes à tiroir, de mignons, de petits pages messagers d’amour, n’ont pas coûté plus de frais d’imagination que les tirades de vertu romaine, le dévoûment sublime à l’amour et à la patrie, les conspirations héroïques… Le répertoire du boulevard aura le droit de reprendre sa farouche figure de