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l’assemblée. J’ignore quel sentiment excitait ce sourire ; pour moi j’ai eu pitié de l’orateur, qui ne sait louer notre Racine qu’en faisant la grimace à un homme de génie, et qui n’a pas encore appris qu’en France la première des convenances, comme le plus sûr indice du talent est le respect pour la gloire. » On prend ici sur le fait le sophisme si connu, propre à tous les conservateurs étroits, qui ne peuvent comprendre qu’une acquisition nouvelle se concilie avec les conquêtes antérieures, et qui veulent toujours nous forcer à choisir. En quoi, je le demande, l’admiration de Faust exclut-elle l’admiration d’Iphigénie ? M. Auger eût été fort embarrassé de le dire ; et il croyait avoir suffisamment terrassé Goethe en prononçant d’un ton ironique le nom barbare de Goetz de Berlichingen. Devant les étroitesses d’une telle critique, on ne saurait avoir trop de reconnaissance pour ceux qui, en nous délivrant d’un tel joug, ont ouvert notre âme à des beautés nouvelles, et ont ajouté aux jouissances de notre imagination.

C’est surtout des beautés de Shakspeare que Dubois avait un sentiment vif et profond. Son analyse de Macbeth est d’une grande beauté et d’une critique supérieure. En comparant le Macbeth original au Macbeth de Ducis, il saisit et nous fait saisir avec précision la haute supériorité du modèle sur la copie : ce n’est pas seulement la différence du génie, mais celle de la conception. Shakspeare dans Macbeth lui paraît comme « l’Eschyle du nord » exprimant le fatalisme de la mythologie scandinave, ainsi que le poète grec avait exprimé le fatalisme de la mythologie grecque. Non que l’auteur anglais eût songé de dessein prémédité à imiter Eschyle qu’il ne lisait guère ; mais en s’emparant simplement de la mythologie populaire et des superstitions primitives, il retrouvait, comme dans Hamlet, la même inspiration que le poète antique. Se plaçant à ce point de vue, Dubois défendait la bizarre invention des sorcières, comme nécessaire à l’action du drame, pour lui conserver sa mystérieuse signification. Sans doute, notre goût sceptique supporterait difficilement au théâtre de tels tableaux ; mais sans ce ressort, la pièce a perdu tout son sens et toute sa poésie. Au lieu de cette profonde et poétique interprétation de Macbeth, voyez ce qu’a fait Ducis, dont on ne peut contester le talent : « Pourvu qu’il trouve une nature un peu sauvage, des scènes d’un effet terrible, des occasions de rendre le crime odieux en forçant les traits, de déclamer quelques tirades de vertu et de laisser échapper de sa belle âme deux ou trois vers sublimes de remords et de tendresse, c’est assez pour son imagination. » Dans ce jugement ferme et précis, les limites du talent et du système de Ducis sont nettement indiquées : aucune injustice dans la sévérité. Ce qu’ il y avait de généreux et de naïf dans Ducis ne pouvait échapper