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étaient en jeu, et où il y avait lieu de faire l’éducation politique du pays.

Une de ces circonstances fut la publication d’un pamphlet de Cauchois-Lemaire, intitulé : Lettre à Monseigneur le duc d’Orléans. Cauchois-Lemaire était un écrivain du parti libéral, dévoué, passionné, mais aventureux, excessif, indiscret, un de ces francs-tireurs qui compromettent les causes, et que les partis n’osent pas désavouer. Il avait pressenti avec sagacité le rôle important que les événemens devaient donner au duc d’Orléans, depuis Louis-Philippe. Mais il avait eu le tort de vouloir anticiper sur ces événemens, et d’indiquer au prince un rôle dangereux que sa situation lui interdisait impérieusement. Il avait osé demander dans une lettre publique que le duc d’Orléans se mît à la tête de l’opposition légale, et en devînt le chef, suivant l’exemple donné souvent par les princes du sang en Angleterre, parmi lesquels, disait-il, il y en a toujours un dans l’opposition. On sent à quel point la question était délicate et imprudente. Il ne manquait pas de gens en France pour se souvenir que le conflit de la nation et de la royauté, lors du gouvernement des Stuarts, avait été tranché par un changement de dynastie. L’analogie trop manifeste des Stuarts et des Bourbons, la singulière coïncidence qui de part et d’autre avait fait succéder un frère à un frère, et un prince aveugle et fanatique à un prince plus modéré ou plus indifférent ; cette autre rencontre d’une famille princière toute voisine du trône, et engagée par les événemens dans une voie libérale ; là un prince protestant garantissant à la nation anglaise la sécurité religieuse, ici un prince dont la jeunesse avait été mêlée aux événemens les plus tristes et les plus glorieux de la révolution française, et qui en paraissait le garant naturel ; toutes ces analogies enfin parlaient assez d’elles-mêmes, il était inutile et dangereux d’en accuser trop haut la réalité. Le nom du duc d’Orléans était déjà et malgré lui une menace d’usurpation. L’inviter à jouer un rôle public et un rôle d’opposition, c’était appeler sur les lèvres de tous un mot qu’il eût fallu au contraire laisser caché au fond des cœurs ; c’était réveiller des espoirs et des craintes qu’il eût fallu taire. Cauchois-Lemaire engageait témérairement le parti libéral ; non moins témérairement le gouvernement relevait le gant et prononçait le premier le mot redoutable, le mot sous-entendu, celui d’usurpation, et il appelait la justice, la presse, la publicité à son secours. Il soumettait à la discussion le droit du peuple et le droit du roi, « ces deux droits, dit Retz, qui ne s’entendent jamais si bien que dans le silence… La salle du palais profana ces mystères. »

Quelle fut l’attitude du Globe dans une question si périlleuse ?