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sans apercevoir l’ouvrier, — le prolétaire, — d’où elle est sortie.

Ce que la commune aurait tenté — ce qu’elle tentera, — c’est la substitution violente, immédiate — et sans phrase, — du prolétariat à toute autre classe de la société, dans la propriété, dans l’administration et dans l’exercice du pouvoir. Les moyens qu’elle emploiera pour parvenir à son but, nous les connaissons ; les programmes qu’elle tachera d’appliquer, nous les avons cités. Le branle est mené par des hommes pour lesquels conspirer est une carrière. La forme du gouvernement qu’ils attaquent leur est toujours indifférente. Nous avons vu la république de 1848 arrêter, fusiller et déporter les conspirateurs qui avaient voulu renverser la monarchie parce qu’elle était la monarchie, et la république de 1871 a arrêté, fusillé et déporté les conspirateurs qui avaient attaqué l’empire parce qu’il était l’empire. Ce sont là des prétextes auxquels les hommes d’état ne se laissent pas prendre, quoiqu’ils feignent parfois de les admettre. Pour ces revendications impies, les guerres, les défaites, les malheurs du pays ne sont que des causes secondaires, quand ce ne sont pas misérablement des occasions. La cause primordiale est plus lointaine et plus profonde, elle est dans l’homme même. Les rédacteurs du Bulletin de la commune ont raison de dire : « L’origine générale du mouvement communal de 1871 est vieille comme le monde[1]. » Elle remonte en effet au temps de la Genèse ; elle date du jour où Caïn a tué son frère parce qu’il en était jaloux. C’est l’envie qui est derrière toutes ces prétendues réclamations sociales bégayées par des paresseux auxquels leur outil fait honte, et qui en haine du travail régulier préfèrent les dangers du combat à la sécurité du labeur quotidien. Cette maladie, — ce vice originel, — est le grand moteur des âmes basses et des intelligences douteuses, il n’a pas de nom ; on pourrait l’appeler le caïnisme. Il a fait les massacres de septembre, il a fait la loi de prairial, il a fait la commune.

Il n’est pas qu’en France, il est partout. Le pivot du vieux monde est faussé ; la civilisation est ataxique ; elle penche à gauche, elle va tomber. L’Europe se regarde et ne se reconnaît plus. Elle contemple avec effroi le monstre qui est sorti d’elle. Se peut-il qu’elle ait donné le jour à ce Caliban ? Il est aussi vieux qu’elle, elle devrait ne pas l’ignorer, si elle savait sa propre histoire. Jadis, il apparaissait çà et là ! Aujourd’hui, grâce à l’imprimerie, à l’électricité, à la vapeur, il semble doué d’ubiquité et en tous lieux on le voit en même temps. On en a peur, c’est le bon moyen d’être vaincu par lui. L’énigme du sphinx n’est point difficile à résoudre.

  1. Le Bulletin de la commune, n° 1, p. 7.