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incurie d’abandonner à eux-mêmes, et qui ne sachant où trouver du pain ramassèrent celui que l’insurrection leur offrait. Ceux-là sont dignes de toute pitié, car on aurait pu sans peine les arracher à la révolte, et on ne l’a pas fait. Devant ces groupes flottans et indécis jusqu’à la dernière heure, on voit se pavaner les vaniteux, fiers de leurs galons, ivres de leur importance, comparses qui jouaient au major et au colonel comme ils auraient joué les jeunes premiers sur un théâtre, malfaisans par sottise, et ne voyant guère dans ce vaste bouleversement que le droit de porter des bottes molles qui les ravissaient. A côté de ces cabotins ridicules et empanachés, les poussant au mal, et les soutenant dans la violence, les repris de justice, — qui furent nombreux, — libres enfin et maîtres, faisant leur main, grappillant partout, braves au feu et décidés à ne reculer devant aucun crime, dans l’espoir de ne pas être forcés de subir encore un état social qui a des tribunaux pour juger les voleurs et des prisons pour les enfermer, ils furent des instrumens redoutables, et à la minute suprême manièrent le pétrole avec passion. Tout cela, c’est l’armée, l’armée de réserve de l’insurrection en expectative, comme il en existe dans toute ville populeuse, mais ce n’est pas la commune. Celle-ci, je la vois dans un groupe de sept à huit cents individus froidement passionnés, réfléchis, rongés par des ambitions surhumaines, méprisant le peuple au nom duquel ils parlent, baissant les riches qu’ils envient, et prêts à tout pour être célèbres, pour être obéis, pour être dictateurs. Ce sont de petits bourgeois déclassés, des ouvriers désespérés de n’être point patrons, des patrons exaspérés de n’avoir pas fait fortune ; ce sont des journalistes sans journaux, des médecins sans clientèle, des maîtres d’école sans élèves, c’est Rigault, c’est Ferré, c’est G. Janvier, c’est Parisel, c’est Pillot, c’est Urbain, c’est Gaillard, c’est Trinquet, c’est Eudes, Gois, Mégy, Sérizier, c’est toute cette bande dont les noms sont revenus si souvent sous ma plume. Ceux-là, ils sont hors de l’humanité, et leurs crimes prémédités les en chassent à toujours. L’amnistie pourra les ramener dans le pays dont ils avaient juré la perte, dans la ville qu’ils ont voulu détruire ; le suffrage universel, inconscient peut-être, à coup sûr irresponsable, pourra les ramasser, en faire des conseillers municipaux, des députés, des sénateurs, des présidens de comité de salut public, cela ne parviendra pas à les laver ; ils ont aux mains la tache que toute l’eau de la mer n’effacerait pas, et l’odeur de pétrole dont ils sont imprégnés ne s’évaporera jamais. Ils seront dans l’histoire ce qu’ils ont été dans leurs actes : des traîtres à la patrie blessée, des incendiaires et des assassins.


MAXIME DU CAMP.