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est-ce admissible ? Que la conscience considérée en son fond absolu et métaphysique soit ou ne soit pas composée, toujours est-il que, pour constituer psychologiquement « une seule et même conscience, » une conscience unique et individuelle, il faut un degré de concentration qui aboutisse à un sujet disant moi. Ce moi peut être une simple apparence, semblable à ces images que le jeu de certains miroirs projette en un foyer, un simple spectre comme celui qu’on fait apparaître sur un théâtre ; mais toujours est-il que c’est ce sujet, ce moi, ce spectre intérieur, qui fait pratiquement l’unité et l’individualité de la conscience. Là où diverses consciences ne sont pas assez fondues pour s’apparaître à elles-mêmes comme une seule conscience, pour dire non plus nous, mais moi, là où quelque mystérieuse disposition de la fantasmagorie intérieure n’a pas rapproché les foyers conjugués de manière à les confondre en un seul, il y a une société, non une individualité. Deux amans ont beau s’adorer jusqu’à ne vivre que l’un pour l’autre, l’un par l’autre, l’un près de l’autre, ils n’arrivent jamais jusqu’à se persuader qu’ils sont un seul et même sujet pensant, une seule conscience au sens propre du mot : ils disent toujours nous et non pas moi. M. Espinas oppose, en un beau langage, sa conception à celle des « monades fermées » de Leibniz : « Ce sont des monades sans doute, dit-il, que les êtres doués de pensée et de sentiment ; mais ces monades sont ouvertes et communiquent ; elles ont jour les unes sur les autres et par là se renvoient, tantôt par minces rayons, tantôt en larges ondes, la lumière et le mouvement. » Nous aussi nous croyons qu’on exagère l’impénétrabilité des consciences et qu’en général la notion même d’impénétrabilité est toute relative, puisque la communication mutuelle et l’action réciproque font la vie même de l’univers ; mais nous croyons aussi que dans l’union même des consciences humaines la pluralité persiste, que l’unité sans la pluralité et la pluralité sans l’unité sont également des notions incomplètes, des abstractions logiques dont la réalité se joue. Il est possible que deux consciences puissent devenir absolument transparentes l’une pour l’autre ; mais il est probable qu’en même temps elles se verraient toujours deux. On peut faire à ce sujet bien des hypothèses et bien des rêveries métaphysiques ; au point de vue positif et expérimental, il n’y a pas d’exemple de deux moi confondus en un seul par une simple association des individus pour une vie commune. Une telle fusion, si elle est possible, ne pourrait se faire que par une fusion des encéphales.

M. Espinas essaie cependant de justifier son hypothèse. Pour cela il réduit la conscience à deux groupes de simples phénomènes, les représentations et les impulsions, et comme, selon lui, ces phénomènes sont au plus haut degré communicables, « susceptibles de