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public, se vengeant peu à peu de la haine qu’inspirait le despotisme impérial par une sorte de mépris partiel répandu sur tout ce qui faisait partie de la famille, accueillit volontiers tous les bruits qui furent habilement lancés contre Mme Louis. Son époux, irrité de plus en plus par les chagrins qu’il lui causait, s’avouant qu’il ne pouvait être aimé après la tyrannie qu’il exerçait, jaloux par orgueil, défiant par caractère, aigri par les habitudes d’une mauvaise santé, personnel à l’excès, fit peser sur elle toutes les sévérités du despotisme conjugal. Elle était environnée d’espions, toutes ses lettres ne lui arrivaient qu’ouvertes ; ses tête-à-tête, même avec des femmes, inspiraient de l’ombrage, et quand elle se plaignait de cette rigueur insultante : « Vous ne pouvez pas m’aimer, lui disait-il, vous êtes femme, par conséquent un être tout formé de ruse et de malice. Vous êtes la fille d’une mère sans morale ; vous tenez à une famille que je déteste ; que de motifs pour moi de veiller sur toutes vos actions ! »

Mme Louis, de qui j’ai tenu ces détails bien longtemps après, n’avait de consolation que dans l’amitié de son frère dont les Bonaparte, quelque jaloux qu’ils fussent, ne pouvaient attaquer la conduite. Eugène, simple, franc, gai et ouvert dans toutes ses manières, ne montrant aucune ambition, se tenant à l’écart de toutes les intrigues, faisant son devoir où on le plaçait, désarmait la calomnie qui ne pouvait parvenir à l’atteindre, et demeurait étranger à tout ce qui se passait dans l’intérieur de ce palais, Sa sœur l’aimait passionnément, et ne confiait qu’à lui ses chagrins dans les courts momens où la jalouse surveillance de Louis leur permettait d’être ensemble.

Cependant le premier consul, ayant fait apparemment de plaintes à l’électeur de Bavière de la correspondance que M. Drake entretenait en France, et cet Anglais ayant conçu quelques inquiétudes pour sa sûreté, ainsi que sir Spencer Smith envoyé d’Angleterre près de la cour de Wurtemberg, ils disparurent tout d’un coup. Le lord Morpoth, dans la chambre des communes, demanda aux ministres raison de la conduite de Drake. Le chancelier de l’échiquier répondit ; qu’il n’avait été donné à cet envoyé aucun pouvoir du gouvernement pour une telle machination, et qu’il s’expliquerait davantage, quand l’ambassadeur aurait répondu aux informations qu’on lui avait demandées.

À cette époque, Bonaparte avait de longues conférences avec M.de Talleyrand. Celui-ci, dont toutes les opinions sont essentiellement monarchiques, pressait le consul de remplacer son titre par celui de roi. Il m’a avoué depuis que le titre d’empereur l’avait dès lors effrayé ; il y voyait un vague et une étendue qui étaient précisément ce qui flattait l’imagination de Bonaparte. « Mais, disait encore