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contre-forts soutenaient le mur d’escarpe. Vis-à-vis se trouve un môle isolé qui présente deux alignemens d’équerre, sépare l’ancienne rade en deux, et rappelle les brise-lames avancés en mer qui étaient d’un usage assez fréquent dans les petits ports antiques.

A l’extrémité de la grande jetée, on remarque dans un état parfait de conservation un monument singulier dont le soubassement circulaire est surmonté d’un prisme à six faces couronné lui-même par une pyramide hexagonale. La hauteur totale de cet édifice étrange est de 10m,50. Sa destination première n’est pas facile à trouver et a donné lieu à des méprises singulières. Un plan manuscrit de d’Anville, déposé à la Bibliothèque nationale, le désigne comme étant « l’ancien phare de Forum Julii. » Mais cette opinion est absolument insoutenable. L’édifice est complètement massif, aucun escalier ne conduit au sommet, et sa hauteur est inférieure à celle des remparts, des tours de l’enceinte et de la citadelle. L’interprétation la plus rationnelle est donc que ce petit monument était une sorte de balise destinée à diriger la marche des vaisseaux dans l’avant-port où la navigation devait être quelque peu incertaine à cause de la diminution progressive de la profondeur et des ensablemens toujours croissans de l’Argens. Peut-être les faces du prisme étaient-elles utilisées, comme celles de la célèbre Tour des Vents à Athènes, pour le tracé de cadrans solaires, et le sommet de la pyramide était-il surmonté d’une sorte de girouette ou d’un mât qui permettait de donner aux navigateurs la direction du vent et de leur faire les signaux nécessaires pour les manœuvres de l’entrée.

Il est curieux, à ce sujet, de remarquer que l’un des plus anciens poètes grecs, Leschès, qui vivait vers la trentième olympiade (environ six cent soixante ans avant Jésus-Christ), décrit dans sa petite Iliade une tour du même genre qui existait à l’extrémité du promontoire de Sigée, sur l’Hellespont, à l’époque du siège de Troie. L’érudit bénédictin dom Bernard de Montfaucon en donne le dessin dans la table iliaque et le représente en forme de pile ou de grand cippe terminé par un sommet aigu. C’est, à peu de chose près, le type de l’édifice de Fréjus, et il y a tout lieu de les considérer tous deux comme des signaux de jour remplissant les mêmes fonctions que ceux qui existent en si grand nombre aujourd’hui sur nos côtes et que l’on appelle des « amers. » Quoi qu’il en soit, ce n’était pas un phare, et rien n’est moins bien trouvé que le nom de « lanterne » sous lequel ce petit monument est universellement connu et désigné.

Le véritable phare de Fréjus était en face, et avait une tout autre importance. Comme tous les monumens de cette nature, il