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du grand nombre de livres et même de livres excellens qui nous arrivent chaque année des universités allemandes, et nous nous demandons comment ces hommes ont trouvé le temps et la force de les composer. Le secret est bien simple ; ils n’ont donné à leur cours que le nombre d’heures réglementaires. Ils ne lui ont sacrifié que le moins possible de leur activité, de leur valeur, de leur talent. Leur cours a été le moindre de leurs soucis. Tandis que l’enseignement supérieur épuise le professeur français, il laisse au professeur allemand la plus grande partie de ses forces et le meilleur de son intelligence pour le travail personnel et pour l’avancement de la science[1].

Mais ces mêmes habitudes ont aussi leurs inconvéniens, tout au moins leur insuffisance. Un cours qui est d’un côté une dictée, de l’autre une sténographie, peut-il avoir sur l’esprit une action forte et bienfaisante ? Suivant nos idées françaises, l’enseignement doit être autre chose que le livre ; il doit être un éveil des esprits. Au grand effort que fait pour chaque leçon le professeur français, répond une impression vive de l’étudiant ou de l’auditeur ; son esprit est excité, et, d’une certaine façon, travaille. La méthode allemande laisse l’étudiant passif[2] ; avec la méthode française, quand elle est bien pratiquée, il est actif et toute son intelligence est mise en mouvement. La leçon ne se traduit pas d’ordinaire sous la forme d’un cahier de notes, mais elle a marqué son empreinte dans l’esprit, et peut-être dans vingt ans ce jeune homme, devenu professeur à son tour, la retrouvera en lui, sans la reconnaître. Les cours allemands ont une utilité plus visible, plus immédiate, moins discutable, puisqu’ils donnent à chaque étudiant un cahier de notes bien prises. Ils lui fournissent tout de suite une érudition presque complète. Qu’ils éveillent ou non l’esprit, au moins le garnissent-ils d’un grand nombre de connaissances. Ils valent ce que vaut un manuel ; mais il est rare qu’ils fassent naître une âme de professeur ou une âme de savant. Une érudition hâtivement acquise et par emprunt n’est peut-être pas la meilleure érudition. La science ne

  1. Encore ne parlons-nous pas des examens qui s’imposent au professeur français. Ce sujet a été exposé ici même (voyez la Revue du 1er avril 1879). Nous devons observer toutefois que la question ne doit pas être tranchée témérairement. Confier les examens à d’autres qu’aux facultés serait en changer la nature, et l’on ne peut guère mesurer jusqu’où irait le changement. Il y a, sur ce point très délicat, sur ce sujet très complexe, une sérieuse étude à faire.
  2. Voyez le rapport de M. Lachelier sur l’université de Heidelberg, p. 59. — Nous n’avons cité dans cette étude que les universités de Bonn, de Heidelberg et de Göttingue, parce que ce sont les seules sur lesquelles nous ayons reçu des rapports précis. Le rapport sur l’université de Berlin a été envoyé à la société, mais il n’a pas encore été publié ; nous savons d’ailleurs qu’il ne contredit pas sensiblement les faits qui ont été cités plus haut.