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moins probant toutefois qu’il ne semble[1]. Tacite serait plutôt d’avis que la religion druidique fut apportée en Bretagne par des immigrans celtes et s’y propagea superstitionum persuasione. Cela paraît bien plus vraisemblable. L’île de Bretagne était bien en arrière de la Gaule continentale au point de vue d’une civilisation relative. Il serait bien étrange qu’un sacerdoce organisé d’une façon qui suppose un commencement de civilisation se fût formé dans un tel milieu, plus étrange encore qu’il eût réussi à se légitimer aux yeux de populations plus avancées. C’est le contraire qui a lieu ordinairement. Nous ne comprenons pas comment M. Desjardins a pu penser que leur qualité d’étrangers a rehaussé en Gaule l’autorité des druides. Ce n’est pas toujours un obstacle insurmontable, mais ce n’est jamais un avantage pour des prêtres que d’être étrangers là où ils exercent leur ministère. On peut très bien se représenter au contraire que, porté en Bretagne par des envahisseurs, il ait, comme d’autres religions, jeté des racines plus profondes dans ce terrain nouveau que dans son pays d’origine, qu’il s’y soit acclimaté, qu’il ait passé de là en Irlande et qu’il ait maintenu son prestige lorsqu’en Gaule même il commençait à déchoir. Reste toujours pourtant la difficulté provenant de ce que ce sacerdoce, qui devait être si puissant dans les Iles britanniques, ne joue qu’un rôle insignifiant dans les guerres dont l’île même de Bretagne est le théâtre par la suite. Les druides bretons devaient déjà savoir que le gouvernement romain leur était tout particulièrement hostile. Tout devait donc les pousser à prendre vigoureusement fait et cause contre l’ennemi de leur culte. Or on ne les rencontre animant leurs fidèles que dans l’île de Mona où ils terrifient un moment les soldats romains qui ne semblent pas avoir vu de druides auparavant.

César ajoute à sa mention d’une origine britannique du druidisme que ceux qui veulent en étudier à fond les doctrines doivent passer la mer. Si en effet le druidisme s’était maintenu plus fort, plus conforme à son type originel en Bretagne qu’en Gaule, cela suffirait pour expliquer la réputation plus grande de l’école britannique ; cela même rendrait compte de l’opinion qui reléguait ses origines dans le pays d’outre-mer. Mais cette opinion, César lui-même ne la rapporte que d’après un ouï-dire (existimatur), une hypothèse, qu’il s’est bien gardé de vérifier par lui-même, encore moins de confirmer dans la suite de son récit. Dans ses expéditions de Bretagne on ne voit pas qu’il ait fait le moindre effort pour découvrir le foyer initial et rayonnant d’une institution qu’il nous représente comme si puissante. Notre sentiment, fondé sur une lecture attentive des Commentaires, c’est que César a reçu concernant le

  1. Disciplina (Druidarum) in Britannia reperta, atque inde in Galliam translata espe existimatur.