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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/899

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druidisme des informations de gens qui avaient intérêt à grossir son importance, ses prétentions, ses privilèges, et qui n’étaient pas fâchés de reporter le mystère de ses origines dans un pays lointain, passant pour inabordable. Qu’on se rappelle donc toutes les difficultés que fait le frère de Divitiac, le druide diplomate, pour suivre César en Grande-Bretagne, comment il se dit « empêché par des motifs religieux (religionibus) ! » Ne dirait-on pas qu’il a des raisons qu’il veut taire pour détourner le conquérant de s’y rendre ? Et que dire de la contradiction patente qui existe entre l’idée que César nous donnerait un moment des druides et toute la suite de son récit des guerres gauloises ? Est-ce que si réellement le pays des Carnutes avait été, comme il l’affirme, le centre de réunion d’un conseil sacerdotal national, prononçant souverainement sur toutes les causes criminelles, sur les questions d’intérêt privé, en possession du pouvoir de mettre hors la loi tout récalcitrant, soumettant ainsi la Gaule entière à une véritable théocratie, est-ce que César n’aurait pas appliqué tous ses soins, soit à se concilier l’autorité d’un pareil conclave, soit à le détruire comme le centre même, le noyau résistant de la nationalité ? Dans la supposition de l’existence d’un pareil pouvoir, il avait tout à en espérer ou à en craindre, et il est de fait que le druidisme ne pèse pas un fétu ni dans sa politique ni dans ses campagnes. Il en est absolument de même de Vercingétorix. On ne découvre pas la moindre trace d’un appel ou d’une hostilité quelconque au clergé national. Pourtant il était assurément dans une de ces positions où l’on a le droit de s’écrier : Qui n’est pas avec moi est contre moi[1] !

Il faut bien sans doute qu’il y ait eu quelque chose donnant quelque apparence à ce que César nous raconte. Les druides formaient certainement une vaste corporation de prêtres devins et médecins, en possession de vieux chants, de procédés magiques, de remèdes traditionnels, de conjurations, de vieilles maximes de droit public et privé. Leur compagnie a dû, pendant un temps et dans plusieurs cités, jouir d’un grand prestige, au point qu’on les voit çà et là, non partout, partager le pouvoir politique avec l’oligarchie dominante. Dans les régions où leur autorité religieuse s’est étendue et a duré, ils ont pu être invoqués, comme arbitres respectés et indépendans, par ceux qui s’inclinaient devant leur savoir supérieur. Ne vit-on pas la même chose arriver, lors des invasions, au bénéfice de l’épiscopat chrétien ? Mais tout cela a dû

  1. Nous devons opposer une objection toute semblable & un livre de lecture courante et agréable de M. Lionel Bonnemère, intitulé Voyage à travers les Gaules, qui a paru récemment. C’est un savant petit ouvrage où l’on trouve réunies dans un cadre fictif d’impressions de voyage toutes les données anciennes et contemporaines sur la Gaule au temps de Jules César. Nous regrettons seulement que l’auteur n’ait pas cru devoir citer ses sources.