Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inévitable. La justice, sinon la logique, exigeait donc qu’on modifiât, pour les appliquer à l’Egypte, nos principes de droit public, et qu’on établît au Caire un régime où le souverain fût à la fois constitutionnel et responsable. Il était responsable, non des résolutions, — on le supposait justement incapable d’en prendre de bonnes, — mais de l’exécution qui, sans son concours, était impossible. Le khédive lui-même avait reconnu la légitimité de ce système de gouvernement, lorsqu’il avait chargé ses ministres d’accomplir les réformes réclamées par la commission d’enquête, tout en acceptant sans réserve les conclusions de la commission, lesquelles portaient que l’entreprise qu’on allait tenter ne produirait certainement pas un résultat d’ensemble avant 1880, « et que c’était par suite alors, mais alors seulement, que la responsabilité du chef de l’état pourrait être dégagée ». Il l’avait reconnu une seconde fois lorsqu’il avait promis, dans son rescrit adressé à Nubar-Pacha pour la formation du ministère, « de sanctionner, en les approuvant, les décisions prises par la majorité du conseil ». Le khédive avait saisi, avec sa finesse ordinaire, le sens de ces paroles ; il n’était donc pas tombé dans un piège. Il avait accepté librement, spontanément, la situation nouvelle et, à coup sûr, fort originale que lui faisait l’organisation d’un ministère solidaire et indépendant, appuyé sur son despotisme.

Peut-être qu’en 1880, ou du moins quelques années plus tard, des changemens notables se fussent régulièrement produits dans la constitution politique de l’Egypte. Ismaïl-Pacha a toujours correspondu directement avec les agens de son administration. Même à l’époque où ses ministres étaient entièrement dans sa main, il n’était pas rare qu’il s’adressât personnellement à un moufétich, à un moudir, à un percepteur, soit pour réclamer une somme qu’il savait être dans leurs caisses, soit pour leur intimer l’ordre de percevoir tout de suite tel ou tel impôt, puis de le verser dans sa cassette particulière. Comme on l’a vu par les réponses du directeur du Bet-el-Mal et du ministre des wafks, il ne rencontrait jamais la moindre résistance; le fonctionnaire qui obéissait sans scrupule au souverain n’éprouvait nullement le besoin de se justifier auprès du ministre dont il dépendait administrativement ; il ne songeait même pas à lui faire connaître sa conduite, tant elle paraissait naturelle ! Qu’étaient-ce en effet que les ministres? De simples commis dont le souverain se servait ou ne se servait pas à son gré. Pendant plusieurs années, leur autorité avait été entièrement annihilée par celle de deux inspecteurs généraux, préposés l’un à la Haute, l’autre à la Basse-Egypte, et qui s’étaient emparés de tous les pouvoirs administratifs, financiers et politiques. Ces deux inspecteurs étaient les véritables ministres; ils exploitaient le pays avec