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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/117

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une omnipotence absolue sans se tourmenter beaucoup du prétendu ministère qu’on présentait aux étrangers de passage au Caire, afin de leur prouver que l’Égypte jouissait des bienfaits d’un gouvernement régulier. Placé entre ses ministres et ses inspecteurs généraux, Ismaïl-Pacha, qui a toujours eu le goût et la passion de l’intrigue, — comme Napoléon III, auquel il ressemble à tant d’égards et pour lequel il n’a cessé de professer des sentimens d’admiration et de vive sympathie, — Ismaïl-Pacha aimait à les opposer les uns aux autres, à nouer tantôt avec ceux-ci, tantôt avec ceux-là, de petites conspirations qui lui procuraient, quelle qu’en fût l’issue, le plaisir ou l’avantage d’un succès personnel. En acceptant des ministres européens et des ministres indigènes qui lui étaient moins agréables encore que les ministres européens, il s’était bien promis de continuer ses relations directes avec les fonctionnaires et d’entretenir, lui aussi, un gouvernement occulte à côté du gouvernement officiel. Mais c’est un jeu que ni MM. Wilson et de Blignières, ni Nubar et Riaz-Pacha ne pouvaient tolérer.

Bien qu’Arménien et chrétien, Nubar est le seul homme qui ait un parti en Égypte. Il s’est tellement occupé des fellahs, il a tant travaillé à l’amélioration de leur sort, il a été mis si nettement en évidence par la réforme judiciaire, qu’il s’est fait une réputation d’autorité et d’habileté d’où il tire une réelle importance. On ne pouvait donc pas l’accuser de témérité lorsqu’il entreprenait de détacher insensiblement l’Égypte du khédive, afin de détruire dans sa racine même le despotisme sous lequel ce malheureux pays est écrasé. Les nouveaux ministres avaient choisi le bon moyen pour habituer les fonctionnaires à compter avec eux : ils les avaient payés. Quand la commission d’enquête s’était réunie, depuis près de deux ans aucun traitement n’avait été acquitté ; aussi le premier acte de cette commission avait-il été de faire prendre au khédive un décret décidant qu’on donnerait chaque mois aux employés un demi-mois d’arriéré en sus du mois échu. Le ministère européen appliquait scrupuleusement ce décret, qui a été complètement mis en oubli après sa chute. Sauf l’armée, dont la solde était encore en retard, personne ne souffrait plus de la misère affreuse qui, durant plusieurs années, avait sévi comme un fléau sur les administrations égyptiennes. Le 4 ou le 5 de chaque mois, les fonctionnaires égyptiens recevaient leurs appointemens du mois antérieur, plus leur part d’arriéré; c’était un immense progrès, et l’on entrevoyait le jour où chaque mois serait payé dès qu’il serait terminé. Les fournisseurs du gouvernement, les entrepreneurs publics auraient été traités bientôt comme les fonctionnaires. Or il n’y a pas de nouveauté plus grande ni de satisfaction plus vive pour les Égyptiens que de voir leur travail strictement et promptement rémunéré. Dans les périodes les