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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/119

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tous les décrets qu’on lui soumettait. Cette situation, théoriquement très fausse, se serait probablement dénouée dans la pratique, je viens de dire pourquoi, au profit du régime européen. Par malheur, au moment où l’on s’y attendait le moins, les deux puissances qui avaient le plus grand intérêt au maintien de ce régime ont mis tout à coup en évidence les contradictions sur lesquelles il reposait. Après avoir obtenu pour deux de leurs agens des ministères égyptiens, on devait supposer que la France et l’Angleterre auraient renoncé au système des remontrances directes adressées au khédive. La conséquence logique de l’organisation d’un cabinet anglo-français était l’abandon de l’espèce de surveillance politique et administrative que les consulats s’étaient arrogée sur l’Egypte, en vertu des capitulations ou plutôt en vertu d’une interprétation plus qu’arbitraire des capitulations. Pendant plusieurs années, la diplomatie française en particulier s’était donné pour mission non seulement principale, mais unique, d’exiger du khédive le paiement intégral des coupons de la dette publique au taux, manifestement trop élevé, qu’avaient fixé les décrets de mai et de novembre 1876. On comprenait cette insistance tant qu’il était permis de supposer que les sacrifices imposés aux créanciers n’avaient d’autre cause que les abus du gouvernement égyptien; mais, dès que ce gouvernement était passé entre les mains d’Européens, il était absurde de se refuser à toute espèce de concession et surtout de s’en prendre au khédive lui-même des mesures adoptées par ses ministres. Si ceux-ci se trompaient, que ne les changeait-on? que ne les prévenait-on, du moins personnellement, de leur erreur? Le bon sens et la justice indiquaient cette conduite; la France et l’Angleterre ont eu l’imprudence d’en suivre une autre. Tandis que les ministres, convaincus de la nécessité de préparer une réduction provisoire de la dette, cherchaient les moyens de l’opérer le plus équitablement possible, les consuls anglais et français ont reçu l’ordre d’inviter le khédive « à tenir strictement ses engagemens. » Maladresse éclatante, qui a permis au khédive de répondre aussitôt : « Comment voulez-vous que je tienne mes engagemens, puisque ce n’est pas moi qui dirige les affaires? Si vos gouvernemens veulent que je paie les créanciers, qu’ils me rendent le pouvoir; s’ils ne veulent pas me rendre le pouvoir, qu’ils s’adressent aux ministres qu’ils ont désignés eux-mêmes. » Cette démarche des consuls a été l’origine de toute la crise, le germe d’où sont sortis tous les événemens qui ont suivi. En voyant les gouvernemens lui demander compte des actes de ses ministres, le khédive s’est aperçu qu’on lui reconnaissait le droit de contrecarrer ces actes, et, s’il rencontrait une résistance, de la briser. Il a constaté de plus que la question financière dominait pour les puissances la