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grande insulte chez les Orientaux, on l’oblige à rentrer avec Nubar dans le ministère, où on les retient tous les deux prisonniers. Une partie des officiers se rendent chez un ministre indigène, Ali-Pacha Moubarek, particulièrement détesté en sa qualité de fellah et d’ancien élève des écoles que le ministère venait de fermer. On lui tire également la barbe, on lui crache au visage, on l’insulte de mille manières. Prévenus de ce qui se passe, les autres ministres s’empressent d’accourir. L’arrivée de M. de Blignières, qui était alors très populaire auprès des indigènes, et qui n’a perdu quelque peu de sa popularité que pour avoir vivement embrassé la défense de M. Wilson, soulève un murmure favorable. Pourtant le chapeau à haute forme qu’il s’obstine à garder durant toute l’émeute produit sur les officiers le même effet que le kalpaka bulgare d’AIeko-Pacha a produit plus tard sur les Turcs : « S’il ôtait son chapeau, s’écrie une partie de la foule, nous l’élèverions sur nos bras! » Ce trait de mœurs n’est pas le seul qui ait donné à la manifestation des officiers du Caire un caractère oriental. Tous les bureaux du ministère des finances étaient gardés par des officiers. L’un de ces officiers entre dans une salle où se trouvait un employé français : l’employé se laissant emprisonner sans protestation, l’officier va tranquillement s’établir dans un coin, choisit le tapis le plus propre de la salle, ôte avec soin ses bas et ses souliers, se tourne vers la Mecque et commence avec gravité sa prière, tandis que l’insurrection à laquelle il prenait part se déroule tumultueusement dans la rue.

Dès que les consuls apprennent qu’une émeute cerne le ministère, ils se rendent près du khédive pour lui demander d’intervenir. Celui-ci n’hésite pas, trop heureux de trouver enfin une occasion de montrer qu’on ne peut gouverner longtemps sans lui ! Il monte en voiture, et il accourt au ministère des finances. Dès qu’il paraît, des vivats et des applaudissemens éclatent. Les abords du ministère sont bientôt dégagés; les émeutiers s’entassent dans les rues voisines. Peu à peu cependant, ils reviennent à la charge. Le khédive monte alors sur une terrasse d’où il harangue la foule : « Comptez sur moi! dit-il aux officiers. C’est moi qui désormais prends vos affaires en main ! Je vous promets sur ma tête que vous serez payés! » La plupart des émeutiers répondent à ces promesses par des applaudissemens; néanmoins quelques-uns d’entre eux, clés Circassiens moins souples que les Arabes, de véritables aventuriers dont le caractère farouche contraste avec la douceur de leurs collègues indigènes, répondent aux belles paroles du vice-roi par des exclamations arabes intraduisibles en français, mais qui équivalent en langage poli à : «C’est toi qui nous promets notre solde ! Nous n’avons que ta promesse! Ah! le bon billet! » La manifestation était