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lui-même, transporté par une violente extase, foulait aux pieds de son cheval le corps des fidèles, et si quelqu’un sortait meurtri de toutes ces fêtes, c’était quelque bon musulman que son zèle avait condamné à de vrais supplices, mais aucun Européen n’avait à se plaindre de la moindre offense, si ce n’est peut-être d’une ou deux épithètes peu flatteuses que lui avait adressées quelque gamin, mais dont son ignorance probable de l’arabe lui avait dérobé la signification méprisante.

Si les consuls avaient mieux compris leur mission, après l’émeute des officiers ils seraient allés trouver le khédive, non pour l’interroger sur la sécurité des étrangers, mais pour lui déclarer que les gouvernemens le rendraient responsable de cette sécurité et que dans le cas d’une nouvelle révolte, c’est à lui, à lui seul, qu’ils en demanderaient compte. S’ils avaient agi ainsi, la crise se serait terminée tout de suite, les affaires auraient repris le lendemain leur cours régulier. En posant mal à propos la question de sécurité des chrétiens, les consuls ont donné lieu au contraire à une série de négociations qui ont rempli les deux derniers mois de l’existence du cabinet anglo-français des plus inutiles et des plus fastidieuses agitations. Dès le premier jour, contrairement aux instructions formelles de leurs gouvernemens, ils ont été obligés d’exiger la démission de Nubar-Pacha, le seul homme cependant qui donnât aux yeux des indigènes une certaine consistance aux nouvelles institutions. Le khédive affirmait en effet que la présence de Nubar-Pacha au pouvoir rendait impossible le maintien de la paix publique! Nubar-Pacha s’étant retiré, les consuls entreprirent de reconstituer le cabinet d’après un plan imaginé par eux. Malheureusement, quand ce plan arriva en Europe, la France et l’Angleterre le repoussèrent, déclarant qu’à leur avis il était impossible de consentir à la retraite de Nubar. Ce démêlé entre les gouverne- mens et le khédive au sujet de Nubar n’a pas duré moins de trois semaines. Enfin les puissances consentirent à abandonner Nubar, mais à la condition que leurs ministres recevraient des pouvoirs nouveaux. Quoique bien incomplète, cette première victoire enhardit le khédive. Après s’être débarrassé de Nubar, il voulut traiter de la même manière deux autres ministres indigènes qui avaient montré dans le conseil un remarquable esprit d’indépendance, Riaz-Pacha, ministre de l’intérieur, et Ali-Pacha-Moubarek, ministre des wafks. Les puissances ne pouvaient consentir à cette nouvelle exécution. Dans un pays où toutes les fonctions sont mêlées, où les impôts sont spécialement perçus par les moudirs et par les cheiks, où les services administratifs sont confondus d’une manière inextricable, si tous les membres du ministère n’obéissent pas aux mêmes inspirations