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ce qui allait empêcher réellement la classe dominante turque de continuer, suivant le mot de Chériff-Pacha, à « exploiter l’Egypte qu’elle a conquise. » J’ai d’ailleurs exposé dans une précédente étude que la suppression de la moukabalah et l’élévation des taxes ouchoury portaient une grave atteinte à l’intérêt particulier des gros propriétaires. Il était donc naturel que ceux-ci s’unissent au khédive et au cheik-el-bekri pour tenter de renverser le nouvel ordre de choses. Les résolutions votées dans un premier moment d’enthousiasme par l’assemblée convoquée chez Ragheb-Pacha portaient : 1° que l’administration des domaines cédés par le khédive à l’état devait être restituée aux indigènes, attendu qu’aucun véritable Égyptien ne pouvait sans crime continuera cultiver au profit de l’Europe des terres enlevées au souverain; 2° que tous les Européens sans exception devaient être chassés des administrations gouvernementales, finances, travaux publics, etc. ; 3° que les ministres indigènes complices des ministres européens devaient être immédiatement destitués ; 4° que la moukabalah et l’impôt ouchoury devaient être maintenus tels quels; 5° que pour justifier ces mesures aux yeux de l’Europe, les pachas devaient s’engagera payer intégralement toutes les dettes en donnant, s’il le fallait, des garanties sur leurs propriétés. — Ce programme était trop radical pour être définitivement adopté. Les pachas voulaient bien conserver leurs privilèges, mais donner leurs propriétés en garantie du paiement intégral des dettes, jamais! On laissa pourtant, durant plusieurs semaines, courir le bruit de ce sacrifice patriotique; on envoya même en Europe des dépêches officieuses qui en transportaient l’écho à Paris et à Londres; on fit ressortir aussi nettement que possible aux yeux du public la différence de conduite qui existait entre les pachas offrant leurs propriétés pour empêcher l’Égypte de tomber en faillite et les ministres européens proclamant sans hésiter l’existence de cette faillite. Mais, dès que l’effet désiré fut produit sur l’opinion, on se ravisa; on renonça à l’expulsion en masse des Européens, on se borna à réclamer le renvoi des ministres et des nouveaux fonctionnaires. Tout en proclamant avec fracas que l’Egypte pouvait et voulait payer ses dettes, on décréta une réduction de 1 pour 100 sur la dette consolidée et on prépara un arrangement de la dette flottante qui imposait aux créanciers pour une partie de leur solde un papier sans valeur. On laissa de côté tous les gages fonciers annoncés. A la place de solides hypothèques sur des terres bien connues, à la place d’une administration européenne éclairée et honnête, on n’offrit pour toutes garanties aux créanciers et aux puissances que les promesses cent fois violées du khédive et des institutions libérales dont personne ne pouvait parler