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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/145

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apportant un nouveau plat où se dessinait vaguement le nom de Birmanie, master Benjamin criait : « Merci! assez! nous avons déjà plus que nous ne pouvons absorber! » N’était-ce pas par le même cri que devait être accueilli le marmiton qui apportait à son tour le plat d’Égypte? Quant à la France, elle avait eu un moment de très grand prestige en Orient, lorsque les pouvoirs présidentiels étaient passés d’une manière si régulière et si pacifique entre les mains d’un nouveau titulaire. Malgré son goût prononcé pour l’empire, Ismaïl-Pacha avait cru sincèrement qu’il faudrait compter avec la république. Mais peu à peu les nouvelles de Paris avaient modifié cette impression. L’agitation causée par l’amnistie, l’émotion des lois Ferry, l’espèce d’entraînement qui s’était emparé du parti républicain, grossis par la distance, défigurés par l’intérêt, avaient changé le cours des idées du khédive. Un certain nombre d’émissaires et d’émigrés bonapartistes s’étaient complètement emparés de lui. « Dans trois mois, répétait sans cesse Ismaïl-Pacha, l’empire, qui a toujours été mon allié, sera rétabli, et d’ici à trois mois les puissances ne feront rien. »

Ismaïl-Pacha ne se trompait qu’à demi. La France et l’Angleterre, qui n’avaient qu’un mot à dire, qu’un geste à faire pour changer la face des choses au Caire, sont restées inertes à la nouvelle du coup d’état khédivial. Leur inaction a duré trois mois. Elles ont eu peur l’une et l’autre de prendre une trop lourde responsabilité. — Poussez-moi, disait l’Angleterre à la France, et j’agirai! — Mais la France à son tour demandait à être poussée. — Le ministère Beaconsfield craignait le parlement; le ministère français, que le parlement n’a jamais gêné dans les questions extérieures, craignait le pays. En conséquence personne ne marchait, et il est fort probable que personne ne l’aurait jamais fait, si l’Allemagne ne s’était aperçue tout à coup des périls de cette faiblesse prolongée et de l’intérêt qu’elle pouvait avoir elle-même à la secouer brusquement. Comme toutes les puissances jeunes, l’Allemagne aime à faire éclater sa force un peu partout; il lui était certainement agréable de la montrer en Orient, sur ce terrain général des luttes européennes. Sans doute, elle n’a pas beaucoup d’intérêts en Égypte; cependant son commerce n’est point nul dans cette admirable contrée où ses écoles répandent de plus en plus sa langue et son esprit. On ignore trop qu’il y a des colonies allemandes, non-seulement sur les bords du Nil, mais en Syrie, et qu’en Orient comme sur tous les autres points du globe la France et l’Angleterre sont destinées désormais à rencontrer la plus intelligente, la plus ferme et la plus nouvelle des rivalités. Ce n’est point cependant dans l’unique intérêt de son influence diplomatique que