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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/169

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Personne ne lui montra les secrets les plus délicats de l’art grec, et il fut les chercher lui-même à leur source.

Le Jason donnait déjà la preuve d’un talent supérieur, mais encore un peu esclave de son public. Ce n’est pas, quoi qu’en dise Canova, une œuvre tout à fait individuelle; c’est plutôt un compromis entre le style à la mode, le style de Canova lui-même et celui des plus beaux temps de l’art grec. Si le jeune artiste a copié d’abord le Pollux, s’il a cherché à se pénétrer de cette simplicité et de cette grandeur, d’autre part il est fort ignorant et on ne peut s’attendre à ce qu’il ait dès lors arrêté sa marche dans les voies les plus pures et les moins battues. On n’atteint pas du premier coup le simple et le grand tout ensemble. Pauvre, sans appui, désireux avant tout de se faire connaître, Bertel ne peut pas encore ne tenir aucun compte du goût général. Aussi, tout en copiant les formes accomplies du colosse de Monte-Cavallo, il jette les yeux sur l’idole de ses contemporains, sur le type que le monde entier alors proclame la merveille de l’art, l’Apollon du Belvédère, et, sans le vouloir peut-être, dans sa première création, il se montre également préoccupé des deux modèles.

Le Jason en effet se présente de la même manière que l’Apollon. Comme le dieu du jour, le héros vainqueur s’avance triomphant, le corps porté sur la jambe droite, l’autre pied touchant à peine la terre. La tête se retourne aussi du côté gauche, pour jeter un regard de dédain sur l’ennemi vaincu. Les bras, il est vrai, sont repliés, l’avant-bras gauche portant la toison, la main droite tenant une lance qui s’appuie sur l’épaule; mais c’est la même idée sculpturale, le même motif, traité seulement dans un tout autre style. Assurément l’œuvre magistrale du Danois ne saurait être comparée, pour la beauté, la vie et la puissance, au marbre inspiré qui resterait le plus séduisant ouvrage de l’antiquité, sans le Parthénon et la Vénus de Milo; mais Thorvaldsen eut le mérite, en imitant l’attitude et le mouvement de l’Apollon, de lui donner des formes nouvelles, aussi idéales et plus vraies. Le torse un peu court et un peu maigre, les membres trop arrondis de l’Apollon sont remplacés par un corps vigoureux, svelte et accentué dans toutes ses parties. La poitrine est large et puissante, avec des plans magnifiques, les membres nourris et bien nuancés, l’ensemble de la figure présente ces proportions carrées que les anciens attribuaient à l’école de Polyclète. On dirait qu’Apollon Pythien a changé de corps avec son voisin du Belvédère, le Mercure[1], et un peu

  1. M. Ampère voit dans le Mercure du Belvédère une excellente copie d’un célèbre Mercure de Polyctète. Cette assertion se trouve corroborée par la récente découverte à Olympie, d’un admirable marbre, trop mutilé, mais fort semblable au Mercure du Vatican, si ce n’est qu’il porte la tête relevée et détournée pour regarder un enfant, Bacchus sans doute, que le dieu tenait sur le bras gauche. Le plâtre de cette œuvre exquise a été offerte par le musée de Berlin à notre École dos Beaux-Arts.