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vers la terre, soutient l’arc détendu. Aux pieds du jeune victorieux, un casque et un foudre. L’action, comme on voit, est peu de chose, mais elle suffit, car le geste seul et l’attitude du dieu éveillent tout un monde de pensées. La pose, le contraste des membres sont à souhait; le corps nous montre les formes sveltes, délicates, à peine saisissables de l’adolescence. Rien n’est plus difficile que de rendre ainsi les suaves ondulations, les plans fugitifs des muscles naissans. Il faut savoir regarder de très près la nature et c’est ce que les anciens avaient appris à Thorvaldsen, en même temps que l’art de faire vivre et palpiter une figure presque immobile.

Pourquoi cette œuvre charmante, d’un style si élevée et si pur, est-elle déparée, aux yeux d’un amateur exigeant, par le type trop moderne du visage? J’ai déjà eu l’occasion de signaler cette insuffisance de la tête qui nuit à plusieurs chefs-d’œuvre de Thorvaldsen. La beauté idéale du corps ne peut pas, dans une statue, suppléer à celle de la tête, où réside surtout l’expression. Ne soyons pas cependant trop sévère sur ce point pour un artiste qui a modèle d’autres fois les plus admirables têtes, et rappelons-nous que les sculpteurs grecs avaient sur les modernes l’avantage de vivre au milieu de la plus belle race qui ait existé. Nos artistes ne peuvent pas copier en tout les marbres antiques, et la nature ne leur offre pas assez de ressources, même en Italie. On ne trouve que bien rarement à Rome, chez les modèles de profession, des têtes à peu près grecques. Ce n’est pas le type du Transtévérin, ni de ces paysans des monts Sabins ou Berniques, qui viennent se louer sur les escaliers de la Trinità dei Monti, pour les ateliers. Il faudrait aller en chercher dans quelque coin de l’Italie méridionale, ou bien à Ravenne, dans les endroits où s’est conservé un peu de sang grec. Or les plus grands statuaires ne peuvent se passer de modèles, et ils ne rencontrent pas toujours celui qu’il leur faudrait au moment de leur création. Si l’on regarde, au Louvre, le Philopœmen de David (d’Angers), on ne trouvera pas sur son visage toute la noblesse et la pureté que réclamerait le sujet. Les déesses de Pradier sont dans le même cas, et lorsque Rude a fait son admirable Mercure, il n’a rien trouvé de mieux que de lui donner à peu près la tête du saint Michel de Raphaël, tête idéale et même céleste, mais fort éloignée du type hellène.

Ceux qui recherchent avant tout dans l’art un puissant effet produit par les plus simples moyens hésiteront entre l’Amour vainqueur et le Jeune Berger ; mais je crois que ce dernier aurait encore la palme. Ici l’action n’existe même pas. Un jeune pâtre est assis tout nu sur un quartier de roche qu’il a recouvert d’une peau de mouton. Il tient de la main droite sa jambe repliée, l’autre jambe pendant vers la terre, et, appuyé de la main gauche sur sa houlette,