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en particulier, sont souvent employées pour l’exil des condamnés ou l’internement des suspects politiques. La Russie ne manque pas de lieux de détention, de prisons ou de bagnes naturels. Le Caucase sous Nicolas, le Turkestan sous Alexandre II ont ouvert à la transportation pénale et administrative de nouvelles et vastes régions.

La déportation, comme châtiment pénal ou comme moyen de gouvernement, est fort ancienne en Russie ; on pourrait la faire remonter aux premiers tsars qui, avant d’avoir la Sibérie à leur disposition, transplantaient fréquemment des populations entières d’une partie de leurs états à l’autre[1]. C’est sous le règne d’Alexis Mikhaïlovitch, père de Pierre le Grand, vers le milieu du XVIIe siècle, que la Sibérie reçut le premier convoi de malfaiteurs. Depuis lors ces lugubres caravanes de criminels ou de malheureux sont devenues annuelles et n’ont cessé de grossir. Dès l’origine, la déportation a eu moins pour objet d’imposer aux condamnés ou aux ennemis du pouvoir les souffrances d’un climat rigoureux que de délivrer la société ou le gouvernement de tous les hommes qui pouvaient troubler l’une et inquiéter l’autre. Aussi pourrait-on dire d’une manière générale que la peine était à peu près graduée selon la distance ; à mesure que se sont accrus les moyens de communications, à mesure que s’est élargi le domaine de la colonisation nationale, le champ de la déportation s’est étendu, reculant toujours vers l’est ou le nord au fond des solitudes de l’Asie.

Le code pénal appliquait jusqu’à ces derniers temps la peine du bannissement (ssylka) aux plus grands crimes et aux simples délits, tels que le vagabondage. Les déportés, en vertu d’une sentence judiciaire, sont ainsi divisés en deux grandes classes : les criminels condamnés aux travaux forcés qui d’ordinaire subissent leur châtiment en Sibérie, et les condamnés à des peines moins sévères qui, de même que les suspects politiques et les internés de la IIIe section, sont simplement transportés d’une partie de l’empire à l’autre, ordinairement du centre aux extrémités, avec interdiction de sortir de la résidence qui leur est fixée. Entre ces deux catégories, ces forçats et ces colons obligés, il y a légalement un grand intervalle qui, grâce à l’adoucissement des mœurs, avait depuis la fin du règne de Nicolas été en diminuant sans cesse.

  1. De pareilles migrations forcées d’une extrémité à l’autre de l’empire ont encore parfois lieu de nos jours. C’est ainsi qu’après la dernière guerre russo-turque, des milliers de familles, des tribus entières du Caucase qui s’étaient révoltées contre le tsar ont dû quitter les montagnes du Daghestan pour les plates et froides régions du nord de la Russie. Le Golos annonçait récemment que cinq cents de ces montagnards établis temporairement dans la province de Novgorod allaient être transférés dans celle de Perm.