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Cette nation anglaise, que M. Louis Blanc décrivait il y a vingt ans dans ses mœurs, dans son énergique essor, elle a l’avantage et l’originalité, si l’on veut, de peu changer, de rester toujours maîtresse de ses destinées, de compter des réformes et point de révolutions. Ceux qui ont à raconter notre histoire depuis près d’un siècle ont la chance ingrate de rencontrer plus de révolutions que de réformes. Comment la monarchie constitutionnelle, si vivace et si puissante en Angleterre, a-t-elle si peu réussi jusqu’à présent en France? par quelle fatalité surtout a-t-elle échoué dans les conditions où elle s’était établie après 1830? C’est une question qui a été bien souvent agitée, qui le sera plus d’une fois encore, et que M. Louis Blanc ne pense point apparemment avoir résolue dans une boutade, en disant que « le règne de Louis-Philippe n’a été qu’un effort de dix-huit, ans pour arriver au gouvernement personnel, » —effort qui a définitivement échoué! C’est une période qui a mal fini, sans doute, comme toutes les autres, comme la restauration, comme la république elle-même, comme l’empire. Elle n’en a pas moins donné dix-huit années de paix, d’ordre libéral, de progrès régulier à la France. Elle a été l’essai le plus sérieux et le plus sincère des institutions libres avec la garantie de l’hérédité du pouvoir souverain, et c’est ce qui fait l’intérêt du récit substantiel et animé qu’un jeune écrivain, M. Victor du Bled, vient d’achever sous le titre d’Histoire de la Monarchie de juillet, de 1830 à 1848. C’est l’œuvre complète de ces dix-huit ans que le jeune historien reproduit avec un sentiment simple et juste. Luttes des partis, débats parlementaires, discussions religieuses, négociations diplomatiques, il rassemble et coordonne tous ces élémens de l’histoire. Il fait revivre ce règne destiné à périr dans une échauffourée d’hiver.

Eh! sans doute, elle a échoué, cette monarchie; mais cette chute, que M. Victor du Bled raconte avec tristesse, dont M. Louis Blanc peut triompher en homme du gouvernement provisoire, cette chute soulèverait une double question. A la veille du 24 février 1848, quel est le progrès qui ne fût régulièrement possible? où était la nécessité irrésistible d’une révolution? D’un autre côté, quel a été le lendemain de la catastrophe? quelles ont été les suites de ce lendemain? La moralité des événemens est là tout entière. Macaulay disait avec une brutalité éloquente après 1852 : « Les Français ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Un peuple qui renverse violemment des gouvernemens constitutionnels et qui vit tranquillement sous la dictature mérite d’être gouverné despotiquement. A la place des Français, nous aurions réformé le gouvernement de la maison d’Orléans et nous n’aurions pas supporté le joug de Napoléon III pendant vingt-quatre heures... » Le jugement est dur. Ce qui est certain, c’est qu’au moment où la monarchie constitutionnelle disparaissait, rien n’était en péril, ni pour l’extension possible des libertés intérieures, ni pour la dignité extérieure. La