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force; elles ont été écrites par un esprit sérieusement observateur, et en vérité M. Louis Blanc aurait été injuste d’oublier ces pages dans l’inventaire de ses œuvres : il leur doit au contraire une reconnaissance toute particulière. C’est par ces lettres, adressées de Londres à un journal de Paris pendant l’empire, que M. Louis Blanc retrouvait en quelque sorte une notoriété de talent passablement obscurcie alors, il faut l’avouer, par la révolution de 1848; c’est par ces lettres de tous les jours que l’exilé regagnait en France un succès qu’il n’eût sans doute pas conquis par ses histoires. Et à quoi tenait surtout ce succès, qui relevait un nom dépopularisé jusque dans le monde socialiste? Précisément à la qualité de l’écrivain, à ce fait que le démagogue semblait s’effacer, qu’il ne restait plus dans ces pages courantes et faciles que l’observateur instruit et pénétrant. M. Louis Blanc ne se donnait pas le ridicule de reconnaître l’hospitalité britannique en écrivant, comme le faisait M. Ledru-Rollin, des déclamations creuses et surannées sur la Décadence de l’Angleterre; il étudiait ce grand pays avec une intelligence sérieuse et suffisamment impartiale. Ce n’est pas qu’il eût abdiqué ses idées; il les laissait assez souvent percer, et au besoin il aurait trouvé dans ses systèmes de quoi remédier à tous les maux, à toutes les anomalies de la civilisation britannique dont il faisait parfois la vigoureuse analyse; mais, placé au sein de cette puissante vie anglaise, il se sentait ramené invinciblement vers la réalité. Il n’avait pas trop le temps de divaguer, il était obligé d’aller, comme il le dit lui-même, « d’un débat de la chambre des communes à une fête du lord maire, de l’exposé d’un imbroglio diplomatique à une description des courses d’Epsom,.. d’un tableau de mœurs à un portrait politique... » Il parlait avec sympathie ou avec respect de la reine, du prince Albert; il écrivait ces pages libres et vives sur « Palmerston gouverneur des cinq ports, » sur le « Christmas. » On avait un peu perdu de vue l’auteur de l’Organisation du travail ou du moins on croyait toujours voir en lui le sectaire du Luxembourg, l’insurgé du 15 mai 1848, et on retrouvait un écrivain animé, souvent ingénieux. C’était assez pour le succès de cette correspondance, qui reparaît aujourd’hui, qui ramène à des années déjà lointaines.

Depuis, M. Louis Blanc est redevenu ce qu’il était dans sa jeunesse, avant ses années d’exil à Londres, un politique de secte et de parti. Il fait des discours pour l’amnistie universelle, il fête dans les banquets de la démocratie révolutionnaire l’anniversaire du 10 août comme un anniversaire national. Il va prochainement, dit-on, porter l’évangile socialise en province, dans ces contrées du Rhône, qui n’auraient pas précisément besoin d’être échauffées; il fera de nouveaux discours, de nouvelles conférences au bruit de la Marseillaise chantée par les Marseillais! Mieux vaudrait peut-être pour lui écrire encore des lettres comme celles qu’il écrivait autrefois de Londres et qui avaient un moment fait oublier un passé de médiocre agitateur.