Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

utiles renseignemens, la peinture de Gênes par exemple, qui vient d’Édesse et qu’une tradition très respectable fait remonter jusqu’au IIIe siècle, et surtout l’admirable mosaïque de sainte Apollinaire à Ravenne, si noble et si vraie, dans son caractère oriental, qu’on la prendrait pour le portrait même de Jésus-Christ.

Mais l’erreur capitale de Thorvaldsen, c’est d’avoir donné à son Christ le corps ou les membres du Jason ou du Mercure et de l’avoir planté sur ses deux pieds comme un lutteur. On a peine à s’expliquer chez le grand artiste, d’ordinaire si clairvoyant et si précis, un tel oubli de la convenance et du caractère de son personnage. Peut-être ne convenait-il pas d’employer le bronze et cela est si vrai que la statue de Notre-Dame, reproduite en bronze, et dans les mêmes proportions, à Potsdam[1], gagne à cette transformation beaucoup de vie et de souplesse. Au reste, sur le Christ de Thorvaldsen le sentiment des critiques est unanime. C’est une œuvre qui reste au-dessous de son sujet, et pour laquelle on est sévère malgré soi, en raison de ce sujet même. Ne pourrait-on pas se demander si la statuaire, qui n’a pas donné encore un seul Christ vraiment beau, n’est pas impuissante à réaliser ce type idéal? Le plus célèbre avant celui de Notre-Dame est le Christ vainqueur ou triomphant de Michel-Ange dans l’église de la Minerve, à Rome. Eh bien, entre cet athlète courroucé qu’a sculpté le terrible Florentin et cet autre athlète aimable et doux de l’honnête Danois, peu de gens hésiteront à préférer le dernier.

J’ai hâte d’arriver au vrai chef-d’œuvre de Thorvaldsen dans la cathédrale de Copenhague, à l’un de ses plus beaux titres de gloire, je veux dire le groupe qui remplit le fronton et qu’on appelle le Sermon ou la Prédication de saint Jean-Baptiste. Il est temps de nous arrêter devant une œuvre vraiment magistrale, unique dans l’art moderne et qui montre mieux que toute autre quelle source féconde est encore pour les sculpteurs l’étude de l’antiquité. J’ai raconté avec quel soin, quelles études, quelle fidélité notre artiste avait restauré les marbres d’Égine. Le résultat de ce long travail fut pour lui non seulement de se pénétrer du grand style des Eginètes, mais d’apprendre à connaître cette décoration sculpturale des temples anciens; et ayant eu l’occasion, dans ses fréquens séjours à Naples ou aux environs, de voir les temples de Paestum il put deviner l’effet merveilleux des groupes de statues dans un fronton grec. Nul doute qu’il n’ait dès lors rêvé d’exécuter une composition importante, comme celles qui ornaient tous les grands sanctuaires de la Grèce, et la mission qu’il reçut bientôt après de décorer l’église Notre-Dame lui offrit une excellente occasion de réaliser son

  1. Dans le vestibule ou atrium de l’église de la Paix, Friedenskirche.