Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seulement si ces sculptures puissantes, qui veulent à tout prix rivaliser avec la peinture, qui non seulement détachent des groupes entiers de personnages, mais prolongent derrière eux tous les plans et toute la perspective d’un tableau, sont partout également à leur place. Passe encore pour les panneaux d’une porte, d’une chaire ou d’un autel; mais quand il s’agit d’une décoration vraiment architecturale, d’une frise par exemple, la raison n’admet pas que l’on creuse dans une muraille la profondeur d’un paysage et le seul artifice possible en ce cas est celui des Grecs qui modelaient en légère saillie un seul plan de figures sur un fond uni et solide. Au reste ce genre de relief, plus élégant sans contredit, est aussi plus puissant et donne plus d’illusion dans sa simplicité que ces hauts-reliefs pleins de confusion qui prétendent remplacer à volonté la ronde bosse ou la peinture. Dès qu’il eut pénétré l’art des anciens, Thorvaldsen comprit cette supériorité et rompit avec les traditions italiennes qu’on lui avait enseignées à Copenhague. On comprend fort bien l’étonnement et l’admiration des Romains devant ses premiers bas-reliefs à l’antique et surtout devant le Triomphe d’Alexandre.

Tout a été dit sur cette fameuse frise du Quirinal, œuvre unique depuis l’antiquité et qui suffirait à immortaliser son auteur. En quelques mois Thorvaldsen modela ce bas-relief, long de trente-cinq mètres, haut de plus d’un mètre, qui nous montre, d’après le récit de Quinte-Curce, l’entrée d’Alexandre à Babylone A gauche les vaincus, généraux et guerriers persans, femmes et enfans jetant des fleurs ou brûlant des parfums, hérauts sonnant de la trompette, astrologues chaldéens, lions et tigres enchaînés. En regard de cette procession le vainqueur, sur son char guidé par la Victoire, et derrière lui son armée, cavaliers caracolant, fantassins, éléphans, prisonniers, tout cela d’une fidélité historique et d’une vie surprenantes. Les meilleurs critiques, surtout M. Delaborde, ont vanté l’art du sculpteur à enlever ses figures par de fermes contours, à en modeler tous les plans d’une main hardie et sûre, avec des rudesses et des mensonges calculés, pour que tout en fût vrai et harmonieux à la hauteur où la frise devait être placée. Thorvaldsen reste loin encore, assurément, des Panathénées-, ses chevaux, pas plus que ses personnages, ne reproduisent le grand style de Phidias; sa cavalerie macédonienne n’a pas l’impétuosité, la fougue inimitable des cavaliers athéniens; mais, dans tous les autres groupes, que de beautés et quelle richesse de gracieux motifs ! Le plus bel éloge à faire de cette œuvre, c’est qu’on peut la regarder même après le Parthénon.

Les deux frises de Notre-Dame qui mesurent, celle du portique treize mètres, l’autre vingt, sur deux mètres de haut, excitent moins l’admiration que celle du Quirinal, ou plutôt le souvenir de celle-ci leur fait tort. Car elles sont très belles et ce qui surprend ici, ce