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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/433

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côté, elle s’attache surtout à la peinture du vice, à la laideur morale, à la maladie répugnante à voir du corps ou de l’âme; de l’autre, elle emprunte de préférence les sujets de ses peintures aux classes inférieures de la société.

De la peinture du vice, j’ai peu de chose à dire. Le vice et le crime ont toujours été, hélas! des élémens de la réalité; ils sont par conséquent des élémens de l’art. On peut défier les naturalistes eux-mêmes de jamais produire des monstres plus horribles, plus abominables qu’une Agrippine, un Néron, une Athalie, une lady Macbeth ou un Richard III. Leur originalité a été de mêler, dans la peinture de ces monstres, la physiologie à la psychologie, ou plutôt de supprimer la psychologie au profit de la physiologie. La littérature s’était appliquée jusqu’ici à montrer les ravages de la passion et les désordres s’accomplissant dans la conscience, les luttes du moi intérieur, les tentations, les faiblesses, les entraînemens et les remords; on nous étale aujourd’hui les troubles et les révoltes des sens, on nous montre la domination tyrannique des tempéramens, l’humanité esclave de la chair. Jadis on nous faisait voir des criminels, on nous fait voir aujourd’hui des malades, et le roman est devenu une clinique d’hôpital. Ce n’est pas le moment d’examiner la grande question philosophique de l’esprit et de la matière ni celle de la liberté et de la responsabilité humaines; redoutables problèmes qui ne sont pas faits pour être tranchés en quelques lignes. Mais à supposer même qu’en effet l’homme ne soit rien qu’un animal, et que nos sentimens, nos désirs, nos pensées mêmes et nos convictions soient uniquement les résultats nécessaires du jeu de nos organes, de notre constitution, je répondrai que la physiologie doit être laissée aux physiologistes; méfions-nous de la physiologie littéraire autant que de la musique d’amateurs. Un écrivain n’est pas devenu un savant pour s’être barbouillé de quelques livres de médecine qu’il a compris par à peu près et dont il a retenu quelques termes baroques qu’il place ensuite, au hasard le plus souvent. Il n’a ni compétence pour parler physiologie, ni qualité pour le faire; et je voudrais voir, je l’avoue, quelqu’un de nos médecins illustres, ayant du goût et sachant écrire, — c’est le cas de plus d’un, — se donnant un de ces jours la peine d’examiner et de réduire à sa valeur vraie la soi-disant physiologie des matérialistes, arrachant à ces prétendus savans la robe de docteur dont ils s’affublent pour imposer à une galerie ignorante. Quel déchet ce jour-là dans la théorie des tempéramens, dans les « innéités, » dans les « élections du père ou de la mère, » dans les « hérédités en retour, » dans les « mélanges-fusion, » dans les « mélanges-équilibre, et dans les «mélanges-dissémination » sans parler de tout le reste, et que je sais de gens qui riraient de bon cœur, et d’autres qui ne riraient pas! Mais ce n’est pas aux critiques littéraires à faire cette besogne.

Ce qu’ils ont à dire le voici. Que l’homme ait une âme ou non, qu’il