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partis à la recherche d’un chapeau, comme dans le Chapeau de paille d’Italie ; pour un voyage de plaisir à Paris, comme dans la Cagnotte ; pour la mer de glace, comme dans le Voyage de M. Perrichon ; pour Chamounix et les chutes de l’Aar, comme dans le Prix Martin. Il est presque impossible qu’un certain comique de situation ne sorte pas de là. Vous avez eu soin d’ailleurs, dès le premier acte, de mettre sur la figure de vos bonshommes un masque grimaçant dont l’expression ne variera plus de toute la pièce et qui soulèvera nécessairement le rire du parterre parce qu’il gardera, jusque dans les situations les plus diverses, sa même expression stéréotypée. La mobilité de l’expression nuirait à l’effet comique. C’est pourquoi, dans tant de pièces de M. Labiche, on notera quelque jeu de scène ou quelque phrase qui revient uniformément : c’est le Vancouver de Mon Isménie répétant : « Pincé ! je suis pincé, Pinçatus sum ; » c’est le Krampach du Plus heureux des Trois fermant la bouche à sa femme Lisbeth : « Tais-toi ! t’as commis une faute ; » c’est le Clampinais de la Sensitive recommençant l’histoire qu’il n’achève jamais : « Je suis à la disposition de la société. Pour lors que nous arrivons à Milan.. ; » c’est le Champbourcy de la Cagnotte ; c’est le Nonancourt du Chapeau de paille d’Italie promenant son myrte sous son bras et soulignant chaque incident de l’intrigue par la phrase devenue quasi proverbiale : « Mon gendre, tout est rompu. »

Que servirait-il d’insister ? Quand le procédé serait moins visible et le métier moins apparent, quand M. Labiche disposerait enfin de cette inépuisable fécondité, de cette infinie variété de moyens qu’on a tant et trop vantée dans le vaudeville et dans la comédie de Scribe, qu’est-ce que cela prouverait et qu’en voudrait-on conclure ? Sans doute, puisqu’on y tient, « c’est un métier de faire un livre comme de faire une pendule, » à plus forte raison de faire un vaudeville. Vous saurez donc ou vous ne saurez pas votre métier : je dis seulement que c’est affaire à vous, nullement au public, ni même à la critique. À coup sûr, si vous ne le savez pas, j’en pourrai, j’en devrai tirer argument contre vous, parce que, si je trouve que l’on a tort de vous applaudir, je suis loyalement tenu de donner mes raisons, toutes mes raisons, et puisque je prends le public à témoin, de motiver mon avis ; mais si vous le savez, je n’ai pas à vous en louer, non plus que je ne louerai l’écrivain de savoir écrire, le peintre de savoir peindre, le forgeron de savoir forger. L’éloge ne commence et ne doit commencer qu’au point où précisément l’art commence, et ce sera le point où vous commencerez vous-même à vous élever au-dessus du métier. L’art seul relève de la critique : le métier ne relève que de la statistique. Le propre du métier, c’est ici, dans le vaudeville comme dans le roman-feuilleton, de pourvoir à la consommation quotidienne. Allons plus loin : le fort du métier, c’est de spéculer sur l’usure prochaine du produit qu’il a livré. Quand M. Labiche donne au théâtre les Vivacités du capitaine Tic, il