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ne fut plus, pour ainsi dire, que de commande, où ses productions devinrent des objets de luxe, mis sur la ligne des raretés, assimilés aux produits de l’industrie, recherchés moins comme beaux que comme chers, et furent entassés dans les palais des rois et des riches, pour le vain plaisir des yeux. » Dès lors l’artiste perdit le goût de ces grandes peintures qui étaient faites pour un mponment déterminé, qui devaient répondre à la destination et à l’architecture de l’édifice, qui en reproduisaient le caractère et ne se comprennent qu’à la place qu’elles occupent. Il travailla dans son atelier selon ses caprices à des sujets de son choix, sans s’inquiéter de ce que deviendraient ses tableaux, ou plutôt sûr d’avance qu’il se trouverait toujours un riche amateur qui les paierait cher et qui en ferait l’ornement de sa demeure. C’est ainsi qu’à la place des grandes fresques ou des vastes toiles destinées aux monumens publics, on commença à peindre ce que M. Helbig appelle avec justesse des tableaux d’appartement (cabinetsbilder), comme on dit la musique de chambre pour l’opposer à celle de théâtre ou d’église. Ils devaient être accrochés le long, des murailles dans les maisons particulières, et devinrent, selon Cicéron, une sorte de besoin et comme un luxe indispensable pour ceux qu’on appelait les heureux du monde.

M. Helbig a fort bien montré, et c’est peut-être la meilleure partie de son livre, que le système de décoration de Pompéi découle de cet usage. Quoi qu’on ait prétendu, il n’a rien de commun avec la grande peinture monumentale appliquée aux parois des temples ou des portiques dans la première époque de l’art grec. Il suffit, pour s’en convaincre, d’étudier la manière dont les scènes mythologiques ou autres, qui ornent les maisons campaniennes, sont disposées sur les murailles. En général, elles n’en couvrent qu’une partie ; elles sont placées au milieu d’une décoration d’architecture destinée à les faire ressortir, distribuées dans des compartimens réguliers, et très souvent entourées d’un cadre qui paraît s’appuyer sur la cimaise ou reposer sur des consoles. On voit que l’artiste a voulu faire une sorte de trompe-l’œil, et donner l’impression à ceux qui regardent que ces peintures étaient des tableaux véritables. Ce système de décoration ne s’explique que lorsqu’on songe aux habitudes et aux goûts de l’époque alexandrine dont nous venons de parler. On a vu que c’était devenu une sorte de fureur chez les grands personnages de suspendre des tableaux précieux aux murs de leurs maisons. Mais c’est un luxe qui se paie cher, et tout le monde ne peut pas se passer d’aussi coûteuses fantaisies. Il fallait être un roi d’Égypte ou de Syrie, ou tout au moins un puissant ministre ou un général redouté, avoir longtemps pressuré les peuples et pillé sans scrupule les pays voisins, pour se faire construire