Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/544

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appartient évidemment au tableau original. Le reste, dans les fresques pompéiennes, est moins heureux ; la figure de Médée surtout manque de caractère. Heureusement on a trouvé à Herculanum une Médée de dimensions plus vastes, et qui révèle un talent plus sûr. Cette fois elle est représentée seule, et sans ses enfans, la bouche entr’ouverte, les yeux égarés ; ses doigts serrent la poignée de l’épée d’un mouvement convulsif : elle paraît en proie à une indicible douleur. Cette figure, l’une des plus belles qui nous reste de l’antiquité, est certainement d’un peintre de génie, les copistes de Pompéi ne l’auraient pas imaginée, on y trouve la main du maître. De cette façon, en plaçant auprès de la Médée d’Herculanum le groupe des enfans que nous donnent les fresques pompéiennes, nous sommes sûrs d’avoir tout le tableau de Timoniaque[1].

C’est donc toute une époque importante de l’art grec qui s’est conservée pour nous dans ce coin de l’Italie. Le plaisir que nous prenons à voir ces tableaux augmente quand nous songeons qu’ils représentent seuls une grande école de peinture ; ce qui ne veut pas dire assurément qu’ils n’ont pas d’autre intérêt que de nous rappeler des chefs-d’œuvre perdus et qu’ils sont indignes d’être étudiés pour eux-mêmes. Je crains qu’à force de répéter les mots d’imitateurs et de copistes, nous n’ayons trop rabaissé le mérite de ces artistes inconnus. On ne leur rend pas justice quand on se contente de les appeler des décorateurs et qu’on les compare surtout aux décorateurs de nos jours. Ils imitaient sans doute, mais avec une certaine indépendance ; ils n’étaient pas tout à fait les esclaves de leurs modèles ; ils les interprétaient librement et n’hésitaient pas à les modifier d’après les conditions des lieux qu’ils avaient à peindre ou l’humeur du maître qu’il fallait contenter. Ce qui le prouve d’une manière certaine, c’est qu’on trouve à Pompéi un grand nombre de répliques, évidemment faites sur le même original, et qui ne se ressemblent jamais entre elles. Il entrait donc dans le travail de ces artistes quelque chose de personnel qui entretenait leur talent, qui les empêchait d’être de simples manœuvres et en faisait des peintres véritables. C’est ce qui les rendait capables d’inventer par eux-mêmes quand il en était besoin. Ils le faisaient rarement, étant forcés de travailler vite et trouvant plus expéditif d’emprunter aux autres que de se donner la peine d’imaginer. Nous avons vu pourtant qu’ils avaient pris quelquefois leurs inspirations dans les scènes dont ils étaient témoins et créé des tableaux de genre d’une inimitable vérité. Mais qu’ils inventent ou qu’ils imitent,

  1. On a la preuve que la Médée d’Herculanum, destinée à décorer un pan de mur très étroit, avait été détachée d’une fresque plus vaste. Le tableau dont elle faisait primitivement partie devait très probablement contenir les enfans et leur précepteur.