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restait très volontiers fidèle, quand on ne lui faisait pas violence. Il ne faudrait pas conclure, comme on l’a fait, du spectacle de ces tableaux dont le sujet est toujours emprunté aux légendes de la Grèce, que Pompéi fut une ville tout à fait grecque. D’origine, sans doute, elle l’était, comme Naples, la molle et voluptueuse Naples, sa voisine. Ses habitans firent aux armées de Sylla une résistance acharnée ; mais, une fois vaincus, ils acceptèrent très aisément leur sort. Ils sont une preuve de plus de la facilité étrange avec laquelle le monde est devenu romain. Les anciens langages qu’ils parlaient du temps qu’ils étaient libres, l’osque et le grec, ils y avaient très vite renoncé pour le latin. Le latin n’est pas seulement la langue officielle des magistrats, dans leurs édits, et des décurions, dans leurs décrets : c’est l’idiome commun, celui des pauvres comme des riches, des paysans comme des citadins. Les enfans qui crayonnent leurs plaisanteries sur les murs, les jeunes gens qui, suivant l’usage antique, adressent un salut à leurs maîtresses, les oisifs qui, au sortir des jeux publics, célèbrent leur gladiateur préféré, les habitués de tavernes ou de lieux suspects qui éprouvent le besoin d’exprimer leurs impressions, le font toujours en latin. Non-seulement ils parlent la langue de leurs maîtres, mais ils partagent tous leurs sentimens. Sans doute il n’y a pas lieu d’être surpris que les images des princes de la famille d’Auguste se retrouvent sur les places publiques et que les inscriptions officielles soient pleines d’expressions de dévoûment et d’affection pour eux ; mais celles qui sont charbonnées sur les murailles par des gens du peuple, et qu’on ne peut soupçonner de flatterie et de mensonge, contiennent des protestations à peu près semblables. Le cri de : Vive l’empereur (Augusto féliciter !) n’y est pas rare. L’un de ceux qui l’écrivent sur un mur y ajoute cette pensée que le salut des princes fait celui de leurs sujets : Vobis salvis felices summ perpetuo ; un autre envoie à Rome, l’ancienne ennemie, des souhaits de bonheur et de prospérité : Roma vale ! Il n’y a aucune raison de douter que ces gens-là ne soient sincères, qu’ils n’expriment leur opinion et celle de leurs concitoyens. Dans un milieu aussi bien préparé, il n’est pas étonnant que l’Énéide de Virgile ait été très favorablement accueillie : elle était consacrée à la gloire de Rome, dont elle célébrait l’origine. D’ailleurs le poète avait su intéresser à son œuvre toute l’Italie : on pouvait voir de Pompéi cette pointe de Misène, tombeau d’un des compagnons d’Énée, que Virgile avait chantée ; on était près de ces champs Phlégréens où il avait mis l’entrée des enfers. Aussi l’Énéide, on peut l’affirmer, y a-t-elle été lue dans les écoles et dans le monde avec un très vif plaisir. Ce qui le prouve, c’est que les inscriptions gravées avec la pointe d’un couteau ou écrites au charbon, qui sont