La faveur publique s’était retirée de Rembrandt. Il avait eu ses jours de succès et de gloire et, tant que son talent avait conservé en face de la nature la timidité consciencieuse des premières années, ses contemporains l’avaient célébré. Mais ils n’étaient pas disposés à le suivre dans les voies aventureuses où plus tard l’avait porté son génie. A partir de la Ronde de nuit, Van der Helst répondait mieux au goût de la plupart d’entre eux. Plus tard enfin, au moment où nous sommes, la vogue était tout entière à une peinture finie, léchée; au joli, au gracieux, à la fadeur apprêtée des Miéris, des Netscher, des Lairesse et des Van der Werff. Rembrandt, lui, semblait vouloir braver l’opinion. Il vivait retiré, à peine entouré de quelques fidèles, et il s’exaltait dans sa manière. Ce n’était plus guère que pour lui-même qu’il peignait et le plus souvent c’est encore lui-même qu’il prenait pour modèle. A côté de lui pourtant apparaît déjà depuis quelque temps une figure de femme; sans doute cette servante qui allait être associée étroitement à sa vie. Quel échange d’idées était possible entre cette fille et son maître? quelle séduction avait-elle pu exercer sur lui ? Avec sa nature tendre plus que raffinée, spontanée et ardente plutôt que réfléchie, Rembrandt avait-il été touché de l’affection naïve dont il était l’objet? Quoi qu’il en soit, une fois nouée, la liaison avait duré. En retrouvant à son foyer, sinon une compagne, du moins une société, le peintre avait en même temps rencontré des facilités d’étude auxquelles il devait pendant plusieurs années largement recourir. C’est ce qu’atteste suffisamment la persistance de ce même type de femme que nous remarquons successivement dans la Bénédiction de Jacob, dans la Bethsabée de la galerie Lacaze et dans deux ouvrages considérables qui, bien que n’étant pas datés, doivent être reportés tout à fait à la fin de la vie de Rembrandt : nous voulons parler de la Fiancée juive du musée Van der Hoop et du grand Tableau de famille du musée de Brunswick.
Comme aspect, comme procédés employés, ces deux peintures diffèrent complètement des créations antérieures du maître. La dernière surtout, par son importance capitale, mérite de fixer notre attention. L’effet qu’elle produit est saisissant. Autant dans la Bénédiction de Jacob, par exemple, la facture de Rembrandt était égale et mesurée, autant il se montre ici violent, heurté, plein d’emportemens et d’audaces. Les moyens qui l’ont conduit à la perfection ne lui suffisent plus; il ne saurait se répéter. Il faut qu’il se renouvelle encore, et les tentatives les plus téméraires l’attirent par leur témérité même. Il a atteint le but, il va le dépasser, et bien qu’il sache ce que vaut la règle, il ne s’y pliera plus. Sous la main, il a un instrument d’une puissance inouïe, il en connaît toutes les