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avec l’éclair de leur regard, ils semblent des apparitions émergeant des ténèbres accumulées autour d’eux. Dans cet effet poussé à outrance, il y a place pour les noirs absolus et pour les plus vives lumières ; et entre ces termes extrêmes se déploient les mille nuances d’insaisissables dégradations. La couleur a les mêmes richesses. L’harmonie générale va du jaune au rouge, mais c’est le rouge qui domine avec ses pompeuses magnificences, avec des brutalités soudaines et des délicatesses adorables, avec des transparences chaudes, veloutées, profondes, et des fanfares aiguës dont quelques dissonances jetées çà et là exaltent encore la tonalité. C’est comme un écrin merveilleux, plein de coulées d’or qui ruissellent sur un fond de pourpre et de pierres précieuses aux chatoyantes scintillations. Au milieu de ces rayonnemens qui jaillissent et se croisent, les formes s’accusent ou s’effacent, tantôt simplement indiquées par le trait brun de l’esquisse, tantôt étudiées à fond, suivies dans leur détail, avec des ménagemens extrêmes ou de subites décisions. A tous ces contrastes s’ajoutent encore ceux de la touche elle-même, fougueuse ou contenue, martelée, écrasée ou fondue, noyée dans des fluidités onctueuses, donnée avec la brosse, avec la hampe ou le couteau. Sur des surfaces lisses s’étale une couleur aplanie; parfois même la toile est à nu, et tout à côté se montrent des entassemens de rugosités superposées ou sabrées d’estafilades, et des amas dans lesquels les objets sont pétris en relief.

Il y a comme une folie dans ces emportemens, et nous ne connaissons aucune autre œuvre qui réunisse des contrastes aussi audacieux et des incohérences aussi multipliées. Et cependant ces oppositions violentes de la touche, ces jeux de la lumière, ce fracas des tons, tout cela se tempère à distance. Éloignez-vous de quelque pas et les constructions se dégagent logiques et puissantes ; les valeurs s’équilibrent; la couleur chante son hymne joyeux. La création du maître vous apparaît dans son unité puissante, avec toutes ses séductions et son incomparable éclat. Que vos yeux se détournent un moment de la toile enchanteresse, et tout ce qui l’avoisine vous semblera terne, insignifiant, inerte. Votre regard sera invinciblement ramené sur cette œuvre étonnante, vision et réalité tout à la fois, qui ravit l’admiration encore plus qu’elle ne la déconcerte.


IV.

Au musée de Brunswick, où se trouve ce Portrait de famille, une des dernières productions du maître, il est placé tout à côté du soi-disant portrait de Grotius, cette peinture correcte et scrupuleusement