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mieux aimé hors de France avec Louis XVIII qu’en France auprès de Napoléon. Restent enfin certaines fausses représentations de son caractère et de son cœur que sa fille réussit sans grand’peine à détruire; est-elle bien sûre cependant que ces fausses représentations aient jamais eu un véritable crédit? Le maréchal par exemple a été dépeint comme brusque, dur, bourru, presque impoli, tandis qu’il était, nous dit Mme de Blocqueville, la courtoisie même; mais elle se trompe, si elle croit que cette qualité fut ignorée des contemporains. Voici une anecdote que je rencontre dans une biographie d’Henri Heine récemment publiée en Angleterre. Pendant une de ses campagnes en Allemagne, le maréchal avait logé dans la famille d’Henri Heine, et comme on parlait quelques années après, entre voisins, des généraux de l’empire, le père de Heine, pour répondre plus victorieusement à certaines attaques, évoqua le souvenir de Davout. «Heinrich, dit-il en se tournant tout à coup vers son fils, n’est-ce pas que c’était un aimable homme? » Comme il est assez improbable que cet Allemand soit le seul contemporain qui ait remarqué ces qualités aimables du maréchal, on peut regarder cette anecdote comme une preuve à peu près certaine que Davout a toujours été connu pour ce qu’il était, ce qui ne veut pas dire que les jugemens calomnieux ou erronés lui aient pour cela manqué. Tout homme qui exerce le commandement est assuré de faire des mécontens, et certaine note vengeresse de l’auteur contre un historien contemporain atteste que le maréchal en avait fait quelquefois.

Cette querelle une fois vidée, il ne nous reste plus qu’à profiter des documens qui nous sont offerts. Nous aurions peut-être préféré un autre classement des matières, nous aurions désiré peut-être des élucidations plus nombreuses, surtout pour toute la partie militaire de ces papiers. Tels qu’ils sont, cependant, ces documens abondent en faits curieux qui fournissent les élémens d’une histoire véritablement neuve du maréchal. C’est à ces faits inédits, mal connus, que nous voulons nous attacher particulièrement en nous imposant la réserve de nous en tenir à ceux-là seulement qui nous sont racontés, comme dit le titre du livre, par le maréchal même ou par les siens.

Louis Davout naquit à Annoux, département de l’Yonne, le 10 mai 1770, un peu moins d’une année, par conséquent, après le grand capitaine dont il devait être un si illustre et si essentiel lieutenant. Comme un certain orgueil plébéien s’est toujours complu à voir dans les ducs et princes de l’empire de glorieux parvenus, fils de leurs propres œuvres, ayant, à l’instar du don Sanche de Corneille, leur épée pour mère et leur bras pour père, nous allons étonner peut-être quelques-uns de nos lecteurs en leur apprenant