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est digne ; mais il est un point qu’il faut se garder d’aborder avec lui si l’on n’a pas de goût pour les refus, le service militaire. Qu’on n’essaie pas de lui arracher à cet égard la moindre complaisance, les êtres qui lui sont les plus chers, femme, mère, frère, sont sûrs d’être repoussés, et de manière à n’avoir pas envie de revenir à la charge. Lisez les deux fragmens de lettres suivans, et dites si le sentiment du devoir militaire parla jamais un plus ferme et plus moral langage. La première de ces lettres est adressée à sa femme, à cette Aimée si chérie, si soignée, à laquelle il ne refusa jamais rien et qu’il grondait de ne pas assez lui demander.


« Ostende, 9 frimaire an XII. — J’ai reçu, ma petite Aimée, tes lettres des 2, 3 et 4 frimaire. Tous ces petits détours que ton adresse prend pour m’inviter à empêcher un conscrit, désigné par le sort pour l’armée active, de rejoindre l’armée, ne sont point capables de me faire commettre une pareille inconséquence. Si on se relâche sur les lois de la conscription, il n’y aura bientôt plus d’armée française, et si nous avions jamais une guerre continentale, le gouvernement serait obligé d’avoir recours à des levées en masse et autres moyens qui soulèveraient les esprits sans rien produire. Je ne puis donc entrer dans ta commisération… »


La seconde lettre est bien plus significative encore. Elle est adressée à sa mère, et il s’y agit de ce frère Alexandre pour lequel nous connaissons l’affection du maréchal :


« Vous me dites, ma chère mère, que votre désir est qu’il soit nommé général de brigade ; je ne pense pas que votre désir se réalise, et j’estime assez mon frère pour être convaincu qu’il ne partage pas ce désir, auparavant au moins le rétablissement de sa santé, puisque tant qu’il sera dans l’état où il est, il ne pourra pas servir l’empereur. Il faut qu’il s’occupe du soin de sa santé ; il a toutes les ressources possibles étant près de vous et de sa femme. Il ne faut pas, ma chère mère, avoir de ces idées que rien ne justifie, et vous me connaissez assez pour être persuadée que je ne les partagerai pas lorsqu’elles seront contre mes devoirs ; lorsque vous m’en exprimerez de pareilles, vous m’affligerez en me mettant dans la nécessité de ne pas les seconder ou de les improuver. Quant à ce que vous me demandez pour Charles (un second frère), j’ai mis sous les yeux de l’empereur ses services, et S. M. a eu la bonté de le nommer chef d’escadron. J’espère qu’il continuera à se bien comporter, et il trouvera en moi un bon frère. »


Parmi ces papiers de famille, il en est un très exceptionnel, d’une réelle et sérieuse beauté. C’est une lettre écrite par le prince