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France s’était donné, il s’était fait une loi d’imposer à ses paroles une retenue constante, de ne tenir jamais compte des détails où sa vanité seule pourrait être intéressée, et de s’effacer dans toutes les occasions où il était moins utile à l’empereur qu’à lui-même qu’il se montrât. Un exemple remarquable de cette prudence, c’est le refus motivé de l’hommage que le conseil municipal d’Auxerre avait voulu lui décerner après Austerlitz, hommage et refus dont nous avons déjà fait mention. qu’avait-il donc à craindre, puisque son unique souci était le service du souverain, et n’avait-il pas bien le droit de se moquer des inquiétudes de la maréchale lorsqu’elle lui écrivait que nombre de ses lettres lui arrivaient décachetées? Il fallut l’affaire d’Auerstaedt pour lui prouver que faire son devoir n’assure pas toujours contre l’injustice et pour lui révéler le colosse de personnalité égoïste auquel il avait affaire.

C’est de cette époque qu’il faut faire dater la sourde mésintelligence qui devait désormais séparer Davout et Napoléon, sans aboutir jamais à une rupture ou à une disgrâce, mésintelligence toujours respectueuse du côté de Davout, discrète quoique souvent acerbe du côté de Napoléon, soigneusement voilée de silence et qui attendit pour éclater les scènes tragiques de la campagne de Russie. A partir d’Auerstaedt, le ton de cette correspondance change sensiblement. Ce n’est point d’abord qu’il doute de l’empereur, mais il a entendu siffler à ses oreilles les serpens de la jalousie, et il est entré en méfiance de ceux qui l’approchent. « Je suis très flatté, écrit-il à la maréchale, de l’impression qu’ont faite sur toi les éloges que l’empereur a bien voulu donner à ma conduite... J’aurai plus besoin que jamais de sa bienveillance ; ceci n’est pas trop en faveur de mes collègues, mais enfin c’est la vérité. Peu me pardonneront le bonheur que le 3e corps a eu de battre avec vingt-cinq mille hommes au plus, dont mille seulement de cavalerie, l’armée du roi de Prusse... Si je me réjouis de cet événement, je te le jure, quelque gloire que cela me donne, c’est plus parce qu’il a été utile à mon souverain que pour tout autre motif. Je m’en serais réjoui de bien bon cœur si cela était arrivé à un de mes camarades. » Le commandement de Pologne (1807-1808) vint bientôt donner un nouvel aliment à cette mésintelligence. Les Polonais, croyant les circonstances favorables, s’agitaient beaucoup pour amener l’empereur à reconstituer le royaume de Pologne et se montraient disposés à accepter le roi français qu’il voudrait leur donner, soit un prince de sa famille, soit même un de ses lieutenans, et un parti favorable au vainqueur d’Auerstaedt commençait à se former. Que se passa-t-il réellement alors entre Napoléon et Davout ? L’inquiétude du souverain éveillée depuis cette contrariante bataille qui avait soudainement donné une rivale à celle