Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/720

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à son tour, débarquant à Marseille, voit dételer les chevaux de sa voiture; quelques Marseillais, avec ce sentiment de fierté qui n’appartient qu’à des hommes libres, s’attellent civiquement à son char de triomphe, — ce qui fait un grand honneur à M. Louis Blanc ainsi traîné et à ceux qui le traînent. M. Blanqui, arrivant peu après, n’a pas obtenu tout à fait la même faveur, il n’en a pas moins eu comme d’autres son jour dans la grande semaine des fêtes, des banquets et des discours; il a trouvé l’occasion de dire que M. le président Jules Grévy était un despote et que la république était en danger! Tout cela est certainement assez ridicule et ne laisse pas cependant d’avoir sa gravité, d’autant plus qu’à ce jeu, au milieu de toutes ces excitations de la vanité et de l’esprit de parti, on s’échauffe à plaisir, on dit souvent ce qu’on ne devrait pas dire quand on est ministre; on a l’air d’accepter un rôle dans des manifestations qui ne sont pas toujours innocentes, et on risque d’engager le gouvernement, les pouvoirs publics plus qu’il ne le faudrait; on prend au sérieux des ovations puériles et on finit par perdre le sens de la réalité dans tout ce tapage, assourdissant, artificiel, de voyages et de fêtes qui, de loin, fait un si singulier contraste avec la paix laborieuse du reste de la France,

Il faut s’entendre. Tout est évidemment affaire de mesure. Des ministres sont à coup sûr dans leur droit et même dans leur devoir quand ils parcourent les provinces, étudiant avec sollicitude les besoins moraux et matériels du pays, écoutant tous ceux qui représentent les intérêts locaux, et si sur leur chemin ils trouvent un accueil empressé, cordial, rien n’est plus simple et plus honorable. De même, c’est assurément une pensée légitime, une inspiration digne d’un peuple intelligent, de vouloir honorer ceux qui l’ont défendu de leur épée ou illustré par leur science, et de consacrer ces souvenirs de l’héroïsme ou du génie par l’éclat des solennités publiques; mais lorsque des ministres passent à travers le bruit, les ovations et les banquets, ayant l’air de rechercher une popularité équivoque et lorsque les inaugurations de statues ne sont plus que l’occasion de manifestations intéressées de parti, tout cela devient réellement une assez triste comédie. Certes Arago, par sa science, méritait tous les honneurs, il était de ceux dont la renommée appartient à la France. Est-ce bien toutefois le savant illustre qui a reçu l’autre jour de si bruyans hommages à Perpignan? Non, vraiment, c’est avant tout et par-dessus tout le républicain, c’est le père du suffrage universel, et même aussi, à ce qu’il paraît, le père de l’article 7 de la loi Ferry; c’est le politique qui a été fêté, et M. le ministre de l’instruction publique, qui s’entend aussi bien à caractériser les hommes qu’à juger le passé, a même trouvé le moyen de transfigurer Arago, de faire de lui un «administrateur incomparable! » Soyez donc un des premiers personnages de la science dans votre siècle pour être exposé un jour à subir cette banalité de