Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/721

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parti! Ce n’est pas tout cependant, et ce n’est pas même là ce qu’il y a de plus grave. La vérité est qu’il y a eu visiblement une intention, une préméditation dans la coïncidence de toutes ces fêtes, inaugurations de statues, commémorations, banquets qui ont eu lieu dans la même semaine, le même jour, — le 21 septembre : c’est le grand anniversaire républicain qu’on a essayé de remettre en honneur! M. le ministre de l’intérieur, au surplus, l’a dit lui-même à Montbéliard, M. Paul Bert l’a dit à Perpignan, tout le monde l’a dit plus ou moins. On a voulu célébrer, sinon officiellement, du moins moralement, la « date mémorable, » et c’est là justement ce qui fait la gravité de ces manifestations. Ce n’est rien, dira-t-on, c’est une fantaisie sans conséquence; c’est beaucoup, au contraire, puisque c’est le signe d’une sorte de superstitieuse faiblesse pour des souvenirs qu’on devrait répudier dans l’intérêt même de la république nouvelle.

Qu’a donc affaire cette république d’aujourd’hui, qu’on se plaît sans cesse à proclamer éternelle et à qui M. Thiers, avec son ingénieuse sagesse, souhaitait d’être simplement durable, qu’a-t-elle affaire, cette république nouvelle, avec cette autre république de 1792 qui naissait sous les effroyables auspices des journées de septembre, dont l’existence n’a été qu’une longue et sinistre convulsion? Assurément, si on veut dire que la révolution française dans son ensemble est la grande ère moderne, qu’elle a créé un monde nouveau, que nous venons d’elle, que ses œuvres et ses principes sont partout dans notre société, c’est un fait qui ne risque pas d’être oublié; c’est de l’histoire. Un peuple ne renie pas son passé sans doute; mais apparemment il n’est pas enchaîné dans sa vie présente à un mot, à une date, à des souvenirs qui ne peuvent que le troubler, et, en acceptant le passé, il accepte aussi les redoutables lumières de l’expérience, il garde le droit de choisir dans son histoire, dans ses traditions. Si on ne cède pas tout simplement à la plus vulgaire et à la plus dangereuse des superstitions, quel avantage politique trouve-t-on à évoquer ces sanglans anniversaires, à paraître rattacher un régime naissant à des temps qui heureusement ne sont plus, à faire revivre des confusions avec lesquelles on croyait en avoir fini? Y pense-t-on bien? Cette époque qu’on célèbre, d’où l’on prétend dater et qu’on propose sans doute en exemple, elle n’a vécu, à partir de 1792, que d’insurrections et de coups d’état : coups d’état sous toutes les formes, depuis celui qui a fait du roi un captif et une victime jusqu’à celui qui a fait des muets avec des révolutionnaires de la veille et des chambellans avec des jacobins! coup d’état contre la royauté, coup d’état supprimant la république modérée par l’exclusion de la Gironde, coup d’état supprimant Danton, coup d’état contre Robespierre lui-même ! Puis encore les vendémiaire, les prairial, les fructidor, jusqu’au moment où cette république, qui n’a pas un seul jour connu le règne de la loi, expire d’un dernier coup sous l’épée d’un victorieux! Il faut bien savoir