Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/722

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qu’on fait : si on se passe la fantaisie de jouer avec ces malfaisans souvenirs, de réhabiliter la politique de sédition, l’ère des dictatures révolutionnaires, quel droit garde-t-on pour condamner les 18 brumaire? Cette « date mémorable » dont on parlait l’autre jour, elle ne rappelle qu’une carrière livrée à la force, ouverte par la force, close par la force; elle inaugure cette série d’attentats de toute nature qui faisait dire à M. Royer-Collard que « notre histoire était une grande école d’immoralité. » Est-ce là le genre d’histoire qu’on veut enseigner au peuple français d’aujourd’hui? Est-ce à cette école qu’on veut le conduire en recommandant à ses respects des temps où la force a régné?

Ce n’est point là sans doute absolument ce que veulent faire tous ceux qui à l’heure qu’il est célèbrent gravement ou naïvement le « quatre-vingt-septième anniversaire de la fondation de la république en France. » Ces réhabilitations choquantes, plus ou moins lyriques, qui se produisent par momens, qui se sont renouvelées l’autre jour dans les banquets du 21 septembre, ces réhabilitations, dit-on, sont l’œuvre de quelques fanatiques obstinés, de quelques radicaux excentriques, insensibles à toute expérience; elles ne sont pas dans la pensée de la masse du parti républicain d’aujourd’hui. C’est probable en effet, c’est certainement désirable. Il est évident que les républicains sérieux qui sont entrés dans les affaires depuis quelque temps n’ont pas envie de faire une république à la façon de 1792 et des années qui ont suivi. Nous l’entendons bien ainsi; mais alors que signifie cette coïncidence de fêtes de toute sorte célébrées le 21 septembre, à l’est et au midi, avec la complicité de quelques ministres? Pourquoi ne pas saisir cette occasion de marquer par un généreux désaveu des excentricités révolutionnaires, par l’affirmation claire et ferme d’une politique nouvelle la distinction nécessaire entre le passé et le présent ? Qu’on le remarque bien : la république française d’aujourd’hui a eu cette fortune unique de naître dans des conditions toutes particulières de légalité et de régularité, avec la sanction graduelle du pays, Elle s’est promptement établie et accréditée, un peu sans doute parce que tout le, reste était devenu impossible, mais en même temps parce qu’elle a ressemblé aussi peu que possible à la république d’autrefois, parce qu’elle a été entourée dès l’origine de toutes les garanties d’une organisation sérieuse, parce qu’en un mot elle est apparue comme un régime d’équité libérale et conservatrice. C’est sa force, c’est son titre. Tout ce qui tend à la dénaturer en la rattachant à d’autres traditions est un danger pour elle. Tout ce qui la fixe de plus en plus dans les conditions premières de son établissement est aussi pour elle une garantie de durée, et ce n’est qu’ainsi qu’elle pont remplir sans trouble son double rôle de protectrice de la sécurité à l’intérieur, de gardienne de la considération nationale à l’extérieur.

Qu’on voyage et qu’on pérore de Montbéliard à Perpignan, du Lomont