Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/726

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que sa présence à Vienne n’avait aucune signification propre à inquiéter notre pays. Rien de mieux. Seulement il est bien permis de le dire, si M. de Bismarck n’a en vue que la Russie en se rapprochant de l’Autriche, s’il voit un danger dans l’extension de la puissance russe en Orient, c’est lui-même qui a contribué à aggraver ce danger contre lequel il sent le besoin de se prémunir aujourd’hui; s’il ne veut que la paix, le meilleur moyen de garantir cette paix précieuse n’est pas de faire de ces voyages mystérieux qui laissent toujours des impressions équivoques, qui réveillent tous les doutes et ouvrent la carrière aux imaginations défiantes.

Si engagée qu’elle ait été depuis quelque temps dans le vaste mouvement des affaires européennes, l’Angleterre ne semble pas s’émouvoir d’une manière particulière aujourd’hui de ce qui se passe sur le continent. Elle peut, comme d’autres nations, suivre avec curiosité, interroger le nouveau travail diplomatique dont une partie reste plus ou moins mystérieuse; elle commente avec sa liberté d’interprétation le voyage de M. de Bismarck, les incidens de Vienne, de même qu’elle commentait dernièrement l’entrevue de l’empereur Guillaume et de l’empereur Alexandre. Elle observe toute cette agitation à demi énigmatique entre les puissances du nord; elle n’y voit évidemment rien qui soit de nature à altérer la position qu’elle a prise, rien qui puisse troubler ou modifier les récens arrangemens des affaires orientales.

L’Angleterre a, il est vrai, d’autres affaires plus pressantes, d’autres sujets de préoccupation; elle a surtout cette question de l’Afghanistan, qui vient de renaître à l’improviste et qui ne se simplifie nullement, qui semble au contraire s’aggraver et se compliquer, qui nécessite dans tous les cas de nouveaux efforts. Les troupes anglaises en viendront à bout, cela n’est point douteux; elles réussiront à dominer le mouvement insurrectionnel qui a éclaté par le massacre de Caboul, et à rétablir une paix telle quelle, avec quelques garanties de plus, avec un traité de Gandamak plus avantageux : elles sont déjà en marche de toutes parts. Ce n’en est pas moins une épreuve pénible, peut-être très meurtrière pour l’armée anglaise, une déception irritante pour le pays, un embarras pour le gouvernement, et pour l’opposition une occasion nouvelle de reprendre le procès de la politique ministérielle, de remettre en cause l’esprit d’aventure du chef du cabinet. La guerre contre lord Beaconsfield avait été déjà vivement engagée à la fin de la dernière session du parlement; elle continue et s’anime plus que jamais dans les meetings qui se succèdent. Le désastre de l’Afghanistan est devenu un prétexte de plus, et il y a quelques jours, dans des réunions populaires, à Newcastle, le chef de l’opposition, lord Hartington, a visiblement touché le point vulnérable du ministère, en évoquant quelques-uns des plus récens mécomptes de la politique anglaise. Est-ce par un savant calcul de stratégie, est-ce par une vieille habitude d’optimisme? le fait est que lord