Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/728

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aux railleries, accomplissant les choses les plus sérieuses sans se départir de sa bonne humeur et gardant jusqu’au bout assez de force pour faire à quatre-vingts ans de longues courses à cheval ou pour aller haranguer des multitudes sous la pluie et le vent. C’était un tempérament robuste et gai. A-t-il été un whig ou un tory ? Il a été avant tout un grand Anglais au pouvoir, Anglais de caractère, de préjugé, d’ambitions. Il ne connaissait que sa nation dans la politique qu’il suivait, il se refusait à admettre qu’il y eût des alliés éternels ou des ennemis perpétuels pour l’Angleterre et il répétait volontiers : «Il n’y a que nos intérêts qui sont éternels et perpétuels. » Il reprenait pour lui le mot de Canning disant que « pour un ministre les intérêts de l’Angleterre devaient être le shibboleth de sa politique. » Le point culminant de cette carrière est évidemment ce jour de 1850 où, dans une discussion solennelle, lord Palmerston revendiquait fièrement pour tous les sujets britanniques dispersés dans le monde le privilège d’invoquer le Civis romanus sum, avec la certitude d’être protégés par « l’œil vigilant et les bras vigoureux de l’Angleterre. » C’est là le secret de sa force, de son crédit grandissant à travers les règnes et les révolutions. Lord Palmerston parlait au sentiment anglais par cette combinaison singulière d’un égoïsme superbe dans les affaires nationales et d’un certain libéralisme allant jusqu’aux connivences révolutionnaires dans la politique extérieure. Tel il était, tel il se peint dans cette Correspondance intime qui touche à tous les incidens d’une longue vie, aux révolutions de 1848, à la bourrasque du 2 décembre 1851, à la période agitée de l’empire jusqu’à ces derniers jours de 1865 où le vieux Pam récite encore quelques vers de Virgile avant de se livrer à la mort qui attend.

Et Palmerston, lui aussi, était de son vivant accusé de faire de la politique de coups de théâtre, de la « politique de sensation : » c’était Cobden qui lui faisait particulièrement ce reproche que M. Gladstone et l’opposition d’aujourd’hui adressent à lord Beaconsfield. Palmerston lui aussi était accusé de jeter l’Angleterre dans les aventures, dans des campagnes diplomatiques inutiles, dans des guerres lointaines, d’imposer au pays des armemens ruineux par sa politique agitatrice. Lord Palmerston, bien loin de s’émouvoir, remerciait galamment M. Cobden de ces accusations qui, selon lui, ne pouvaient que constater son zèle pour l’agrandissement de la puissance anglaise. Il savait que les nations pardonnent beaucoup à ceux qui se font les représentans jaloux et passionnés de leurs intérêts, de leurs ambitions et même de leurs préjugés. Lord Beaconsfield le sait comme lord Palmerston, et c’est ce qui fera probablement sa force dans les luttes qu’il aura un jour ou l’autre à soutenir devant le parlement d’abord, puis devant l’opinion publique de l’Angleterre.


CH. DE MAZADE.


Le Directeur-général, C. BULOZ.