Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/761

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne s’avisât plus d’en essayer l’effet. Il ne fut pourtant pas possible de dire qu’il n’avait pas plu au champ de Mars pendant la distribution des aigles, mais combien ai-je vu de gens qui assuraient le lendemain que la pluie ne les avait pas mouillés !

On avait élevé pour la famille impériale et sa suite un grand échafaudage sur lequel était le trône, recouvert du mieux qu’on avait pu à cause du mauvais temps. Les toiles et les tentures furent promptement percées. L’impératrice fut forcée de se retirer avec sa fille, qui relevait de couches, et leurs belles-sœurs, à l’exception de Mme Murat, qui demeura courageusement exposée au mauvais temps, quoique légèrement vêtue. Elle s’accoutumait dès lors « à supporter, disait-elle en riant, les contraintes inévitables du trône. »

Ce même jour, il y eut aux Tuileries un banquet somptueux. Dans la galerie de Diane, sous un dais éclatant, on dressa une table pour le pape, l’empereur, l’impératrice et le prince archichancelier de l’empire germanique. L’impératrice avait l’empereur à sa droite et le pape à sa gauche. Ils étaient servis par les grands officiers. Plus bas, une table pour les princes, parmi lesquels était le prince héréditaire de Bade; une autre, pour les ministres; une, pour les dames et les officiers de la maison impériale; le tout servi avec un grand luxe; une belle musique pendant le repas; ensuite un cercle nombreux, un concert auquel le pape voulut bien assister, et un ballet exécuté au milieu du grand salon des Tuileries par les danseurs de l’Opéra. A l’instant où commença le ballet, le pape se retira. On joua à la fin de la soirée, et l’empereur en se retirant donna le signal du départ de tout le monde.

Le jeu à la cour de l’empereur entrait seulement dans le cérémonial. Il ne voulut jamais qu’on jouât d’argent chez lui ; on faisait des parties de whist et de loto ; on se mettait à une table pour avoir une contenance, mais le plus souvent on tenait les cartes sans les regarder, et on causait. L’impératrice aimait à jouer, même sans argent, et faisait réellement un whist. Sa partie, ainsi que celle des princesses, était établie dans le salon qu’on appelait le cabinet de l’empereur et qui précède la galerie de Diane. Elle jouait avec les plus grands personnages qui se trouvaient dans le cercle, étrangers, ambassadeurs ou Français. Les deux dames de semaine au palais demeuraient assises derrière elle, un chambellan près de son fauteuil. Tandis qu’elle jouait, toutes les personnes qui remplissaient les salons venaient, les unes après les autres, lui faire une révérence. Les sœurs et les frères de Bonaparte jouaient et faisaient inviter à leurs parties par leurs chambellans; de même sa mère, qu’on appela Madame Mère, qu’on fit princesse et à qui on