Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’absence des idées. «Tout cela, pensait-il, est acheté beaucoup trop cher, il faut pourtant qu’il y ait quelque rapport entre la peine que je me donne pour casser, éplucher, égruger la noix et le plaisir de déguster l’amande ou le lait qu’elle renferme. » Lui dont les airs les plus connus, les plus originaux n’offrent souvent qu’une succession de quel lues mesures, lui qui portait des motifs comme La Fontaine poussait des fables, Pétrarque des sonnets et Tallemant des anecdotes, il ne comprenait rien, mais absolument rien à cette esthétique de nains et de bossus qu’ignore la statuaire dont procèdent les Venus de Milo. « Mélodie continue! » Qu’est-ce que peut bien vouloir signifier cette expression dont les deux termes se contredisent? De quelque façon que vous l’entendiez, ce mot de mélodie représente une forme plus ou moins régulière, mais parfaitement déterminée Qu’on interrompe le rythme principal et qu’on ouvre des parenthèses à perte de vue, je l’admets encore, mais il faut qu’une phrase ait un commencement et une fin, et il ne saurait y avoir de mélodie contmue pas plus qu’il ne saurait y avoir de poésie sans ponctuation Là où n’existent ni intervalles différens, ni rythme, la mélodie N’existe pas ; je vais plus loin, cette forme précise et régulièrement rythmée est un besoin de notre nature. A peine notre œil et notre oreille ont-ils perçu une certaine suite de lignes ou de sons qu’ils en désirent invinciblement la reproduction ; et ces répétitions qu’il est de mode aujourd’hui de vouloir proscrire tiennent à l’organisme même de l’art. Vous les retrouvez partout, dans Haydn Mozart et Beethoven comme dans Rossini. La musique est un moyen D’agir sur la sensibilité, de provoquer chez l’auditeur un certain état moral et c’est par l’emploi répété des mêmes effets qu’elle y parvient. Si l’on peut dire vingt fois à sa maîtresse : « Je vous aime, » on peut à plus forte raison le lui chanter. Il est vrai qu’une théorie n’engage à rien et que tous peuvent s’en moquer, à commencer par Gluck, que les fameux principes développés dans la préface d’Alceste n’empêchaient pas de faire servir le même morceau à des situations non seulement diverses, mais complètement opposées. O malheureuse Iphigénie! cet air qui depuis plus d’un siècle émeut l’enthousiasme des amateurs de la musique d’expression cet air célèbre et typique n’est autre chose qu’un chant déjà employé par Gluck dans un de ses nombreux opéras italiens, la Clemenza di Tito à une époque où, n’ayant pas inventé son système, il courait simplement après la mélodie sans toujours réussir à l’atteindre Qu’on vienne ensuite nous parler de la cavatine de Maometto transportée dans le Siège de Corinthe et traiter de musique à tiroirs tel charmant trio des Chaperons blancs que la main paternelle de l’auteur sauva du naufrage et dont la partition de Fra Diavolo s’est enrichie.