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du ciel, à votre âge, car, songez-y, vous avez quatre-vingt-huit ans sonnés. » Auber se mordit la lèvre et, se souvenant du mot d’Anacréon : « C’est possible en effet qu’ils aient sonné; mais, quant à moi, je n’en ai rien entendu. » Puis, se ravisant et d’un ton de souriant sarcasme : « Le paradis! si j’étais seulement sûr de vous y retrouver! mais, voilà! même là-dessus j’ai mes doutes. Vous me reprochez de n’y penser jamais, qu’en savez-vous? J’ai souvent au contraire essayé de m’en faire une idée. Dante se l’imaginait comme une roue de feu d’artifice débitant à perpétuité les saphirs, les émeraudes et les topazes; moi, je me le figure en ut majeur, et, pour vous parler en pauvre musicien que je suis, ce ton-là m’a toujours ennuyé. »

Repenties ou non repenties, toutes les Madeleines le charmaient, et cette influence fit son génie comme elle a fait, et surtout comme elle a prolongé le génie de tant d’autres. Mettons à part certaines défaillances trop faciles à relever et qui seraient plutôt du ressort de la comédie, pour combien cet hommage persistant rendu aux femmes, ces soins assidus, tendres, minutieux autour de leur personne, ne sont-ils pas entrés dans la virtualité même de tel écrivain, de tel artiste que nous admirons? Très utiles à former le talent, les femmes ont surtout l’inappréciable secret de le maintenir sur le tard dans sa pleine vigueur. Qu’on se rassure, je n’entends sortir ici ni de mon pays ni de mon siècle; nous ne parlerons ni de Pétrarque, ni de Dante, ni de Michel-Ange, ni de Gœthe, il suffit de regarder autour de nous. Comptons un peu; les hommes dont l’activité productrice s’est le mieux défendue contre les déchéances de l’âge, qui sont-ils? Ceux que les femmes ont le plus attirés : Chateaubriand, Mérimée, Sainte-Beuve, Alfred de Vigny, Michelet, Cousin : In hoc sîgno vinces ; chaque feuillet d’Auber porte ce signe distinction, élégance, goût suprême! Aucun maître, Mozart excepté, n’écrivit dans cette perfection le dialogue parlé. Cet orchestre, toujours clair, a des façons de dire qu’on ne se lasse pas d’admirer ; la phrase musicale, toujours nette et bien construite, rend avec précision le sens du récit : autant de paroles, autant de notes ayant leur signification facile, intelligible; les motifs sont en profusion, et tout cela spirituel, galant, ni trop long ni trop court, touché de main d’artiste, et d’artiste qui sait le monde !

Qui se souvient aujourd’hui du troisième acte de Gustave, de cet air de femme si ému, de ce duo entre le royal amant et sa maîtresse, où, chose rare au théâtre, même à travers les mouvemens de la scène, le comme il faut ne se dément jamais? Voltaire se vantait d’être le seul poète qui sût faire parler des