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et cassant à l’égard de ses amis, dont il prévoyait les plaintes, les avertissant qu’ils lutteraient en vain contre une inexorable nécessité. Il présenta la solution à laquelle il s’était arrêté comme le résultat de ses propres réflexions sur les moyens de mettre fin à une crise redoutable, et donna clairement à entendre qu’il se considérait comme le ministre indispensable, comme le seul homme en état de faire face aux difficultés de la situation. Lord John Russell, prenant la parole à son tour, rendit compte de ses tentatives inutiles pour composer un cabinet. L’agitation de l’assemblée s’était calmée pendant les explications diffuses et embarrassées du chef des whigs, et lorsqu’il eut cessé de parler, il se fit un grand silence. Observés curieusement par leurs adversaires, les tories semblaient partagés entre l’abattement et un sombre mécontentement : si la séance se fût terminée ainsi, toute pensée de résistance se serait évanouie, et il est probable que le parti tory eût subi encore une fois la volonté de son impérieux dictateur. M. Disraeli se leva, et dans un discours où la chaleur s’alliait à la plus mordante ironie, il demanda compte au premier ministre des engagemens pris par lui vis-à-vis des électeurs et vis-à-vis de ses amis, s’indignant que la confiance et la docilité d’un grand parti fussent payées par une trahison. Des applaudissemens frénétiques accueillirent les premiers accens de cette parole vengeresse, qui traduisait éloquemment les sentimens secrets de tous ces cœurs ulcérés : chaque phrase de l’orateur soulevait de nouveaux transports. Le parti tory échappait à l’ascendant de sir Robert Peel.

Cependant, quelques tories voulaient espérer encore. On disait que l’abolition des Corn Laws ne devait pas être immédiate, et le premier ministre avait donné tant de preuves de fécondité d’esprit qu’il pouvait tenir en réserve une combinaison qui ménagerait les intérêts de l’agriculture ; mais lorsque, cinq jours plus tard, sir Robert Peel exposa un plan qui consistait à réduire considérablement les droits d’année en année, et à les faire disparaître complètement au bout de trois ans, toute illusion dut s’évanouir. Que fallait-il faire ? Était-il possible de résister ? Qui organiserait et dirigerait la résistance ? Tous les hommes qui avaient eu, depuis vingt ans, la confiance des tories faisaient partie du ministère, et tous, à l’exception de lord Stanley, avaient suivi leur chef dans son évolution. Lord Stanley joignait à l’expérience de la tactique parlementaire un remarquable talent de parole ; mais il siégeait à la chambre des lords, et c’était dans la chambre des communes que la bataille devait se livrer. M. Disraeli était devenu un des orateurs les plus écoutés de la chambre ; mais il était trop nouveau dans le parlement et sa situation n’y était pas encore assez forte pour qu’il pût prétendre à un rôle aussi considérable. Un homme de haute naissance