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et de grande fortune, en possession de relations étendues, pouvait seul faire accepter son autorité par un parti qui comprenait presque tous les grands propriétaires terriens de l’Angleterre. Ce chef, dont on avait besoin et qui s’ignorait encore lui-même, surgit tout à coup du sein même de la chambre.

Le duc de Richmond avait accepté la présidence d’une association qui s’était formée pour la défense des intérêts agricoles. Aussitôt que sir Robert Peel eut fait connaître son projet, le duc crut devoir convoquer, au siège de la société qu’il présidait, tous les membres du parti tory dans les deux chambres. Lord George Bentinck assistait à cette réunion. Il y prit la parole un des premiers. Il déclara que, bien qu’il ne fut arrivé à Londres que le matin même de l’ouverture de la session, sa résolution avait été prise dès le jour où il avait connu les intentions du premier ministre ; il ne comprenait pas qu’on pût hésiter sur la conduite à tenir : il fallait résister, disputer le terrain pied à pied, épuiser les ressources de la stratégie parlementaire pour faire échouer les projets de sir Robert Peel.

L’homme qui tenait ce langage était de la plus haute naissance; il était le second fils du duc de Portland, le neveu et l’héritier de lord William Bentinck, ancien gouverneur général de l’Inde, auquel il avait succédé comme député de Lynn ; il était aussi le neveu, par alliance, de Canning, dont il avait été le secrétaire particulier. Il avait voté pour l’émancipation des catholiques et pour le bill de réforme; il avait soutenu le ministère de lord Grey, dans lequel plusieurs des anciens collègues de Canning avaient accepté des places. Lorsque lord Stanley avait brisé avec les whigs à l’occasion du bill relatif à l’église d’Irlande, lord George Bentinck l’avait suivi et était venu se ranger avec lui dans le parti tory. Il avait témoigné à sir Robert Peel une admiration et une confiance absolue dont le souvenir redoublait son ressentiment.

Débutant dans la vie publique sous les auspices et aux côtés de Canning, intelligent et instruit, joignant l’esprit de décision à la netteté du jugement, lord George Bentinck semblait appelé à une carrière politique; mais, possesseur d’une grande fortune, il n’avait pu s’astreindre à l’assujettissement d’un poste secondaire; il s’était abandonné à sa passion pour la chasse et les chevaux. Il avait la plus belle meute et l’écurie la plus renommée de l’Angleterre; ses avis faisaient loi dans le monde des courses, et nul ne pouvait rivaliser avec lui pour l’audace et l’importance de ses paris. Grand, de haute mine, d’une physionomie ouverte sur laquelle se peignaient la droiture et l’énergie de son caractère, apportant la même ardeur dans ses amitiés et dans ses haines, il réunissait tous les dons qui pouvaient séduire les gentilshommes campagnards.

L’avis de lord George Bentinck, énergiquement appuyé par